Données de santé : l'État referme l'open data
Colère des organismes complémentaires santé et des associations de patients : ils jugent les choix du gouvernement sur l'accès aux données de santé, en contradiction avec la totale ouverture pronée par la concertation. Les pouvoirs publics et l'assurance maladie n'auraient pas envie de faire la transparence sur le système de santé français.
FRANÇOIS LIMOGE
\ 14h58
Mis à jour 03 Oct. 2014
FRANÇOIS LIMOGE
Mis à jour
03 octobre 2014

Le projet de loi de santé devrait être présenté cet automne en conseil des ministres. Mais le volet « données de santé » de ce texte fleuve de plus de cinquante articles suscite déjà la polémique. Dans un communiqué en date du 9 juillet du ministère de la Santé, on pouvait lire : « Conformément aux recommandations de la commission, Marisol Touraine souhaite accélérer le développement de l'open data en santé. » Si ce n'est qu'associations de patients et représentants des organismes complémentaires santé ne retrouvent pas dans le projet de loi les conclusions de cette instance créée à l'automne 2013, à la suite de la remise du rapport de Pierre-Louis Bras.
Les bénéfices d'un vrai open data
Selon cette commission, où siégeaient tous les acteurs de la santé (chercheurs, financeurs, etc.), il est nécessaire d'ouvrir plus largement les données de santé, avec des bénéfices attendus « en termes de démocratie sanitaire, de renforcement de l'autonomie des patients, de développement de la recherche et de l'innovation, d'efficacité de l'action publique et d'amélioration des pratiques professionnelles ». Sans évacuer les précautions nécessaires, s'agissant de « données particulièrement sensibles » et des dangers de réidentification *, mais « en fonction du niveau de risque objectivement mesuré, qui constitue le seul critère pouvant justifier les différences de procédures d'accès ».
Simplifier les procédures d'accès
La commission préconise ainsi de simplifier et de graduer les procédures d'accès (lire encadré). Et surtout, elle défend une gouvernance susceptible de faire appliquer ces principes, à savoir « garantir au chercheur un accès réel aux données au nom des exigences de la seule recherche, mais aussi garantir aux parties prenantes (patients et usagers, professionnels de santé, industriels, assureurs...) un examen ouvert et loyal de leur demande d'accès au vu des seules règles posées ».
Or, selon le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), le projet de loi ne va pas dans le sens de ce consensus. « Le texte évoque très abondamment la recherche et la puissance publique mais ne dit pas un traître mot concernant les autres acteurs. On crée un système national des données médico-administratives, sans préciser les différents modes d'accès », souligne Christian Saout, président d'honneur du CISS.
Un projet de loi laconique
Alors que la commission a proposé que l'Institut des données de santé (IDS) soit la structure d'accueil du nouveau dispositif - « Une bonne solution, selon Christian Saout, dans la mesure où l'ensemble des acteurs sont réunis autour de la table » -, le projet de loi reste très laconique à propos du futur Institut national des données de santé (INDS), censé le remplacer. Un décret en Conseil d'État doit en fixer les missions et la composition. « Nous avons demandé une définition extrêmement précise de l'INDS, nous n'avons eu aucune réponse », déplore Christian Saout.
Pour un opérateur indépendant
« Nous ne comprenons pas la remise en cause de l'IDS, un outil qui fonctionne », déclare pour sa part Jean-Martin Cohen Solal, délégué général de la Mutualité française, qui s'est battue pour la création d'un tel organisme au début des années 2000. De fait, la fédération mutualiste n'est pas satisfaite de l'organisation proposée et réclame notamment « un opérateur indépendant » pour le pilotage et l'hébergement des données de santé. « Ce rôle, avance la fédération, ne peut être confié à la CNAMTS, qui est producteur de données. » Et qui, jusqu'à présent, aurait plutôt traîné des pieds pour partager les informations du Sniiram (base de données des remboursements), y compris pour les actes largement pris en charge par les complémentaires.
L'intérêt général, pas seulement celui de la Cnamts
« Nous avons les plus grandes difficultés à récupérer des informations sur l'optique, le dentaire ou les dépassements d'honoraires », poursuit Jean-Martin Cohen Solal, avant d'insister sur l'enjeu de ce débat : « Il est fondamental que les données de santé anonymisées soient accessibles à tous les acteurs, y compris les professionnels de santé. Ce partage est essentiel pour que nous puissions analyser le fonctionnement du système de soins et participer à une gestion du risque efficace. L'accès aux données est d'intérêt général, et pas seulement de l'intérêt de la CNAMTS et des pouvoirs publics. »
Une opacité organisée
Reste ce débat sous-jacent du risque potentiel qu'il y a à partager des données de santé avec des acteurs privés. Un argument balayé par Christian Saout : « On nous raconte une histoire. Si l'État et la Cnil ont constaté des infractions, elles n'ont jamais été sanctionnées. Qui veut-on réellement protéger, le citoyen ou l'État ? ». La puissance publique conserverait donc volontairement une opacité pour éviter que certains dysfonctionnements ne soient mis à jour. « Tout le monde n'a pas intérêt à ce que l'on sache ce qui se passe dans le système », analyse un bon connaisseur du dossier, avant de relever que ce sont des acteurs de la société civile qui ont récemment mis à jour les dérapages sur les tarifs de certains hôpitaux ou l'ampleur des dépassements sur les actes conservateurs des dentistes.
À défaut d'être entendus aujourd'hui, les critiques au projet actuel essaieront d'infléchir le texte lors de son passage au Parlement, qui ne devrait pas intervenir avant le printemps 2015. En expliquant que la France n'a aucun intérêt à bloquer un open data santé en plein développement chez la plupart de ses voisins.
* Possibilité de lever l'anonymat sur les données d'une personne connue par ailleurs en croisant certaines informations.
LA CONCERTATION PRÔNE UN ACCÈS EN FONCTION DU RISQUE
- 1 Données à risque nul d'identification
Ouverture par défaut.- 2 Données à très faible risque de réidentification *
Autorisation d'accès délivrée par la Cnil après avis du comité technique (experts, scientifiques) pour les acteurs non publics.- 3 Données à risque plus important de réidentification
-> Accès permanent (État, ARS...): arrêt ministériel après avis de la Cnil.
-> Accès ponctuels : autorisation de la Cnil après :
- avis du comité technique (pour la recherche académique) ;
- avis du comité technique + avis du comité d'orientation (représentants de tous les acteurs) pour les autres demandes.
La commission préconise un « guichet commun » pour les deux comités technique et d'orientation, situé au sein de l'Institut des données de santé (IDS).
PARTAGE À SENS UNIQUESi l'État traîne les pieds pour ouvrir les bases publiques, il entend bien récupérer les informations des assureurs santé. Selon le projet de loi de santé, le nouveau système national des données médico-administratives rassemble les données du système hospitalier (PMSI), de l'assurance maladie, c'est-à-dire la base du Sniiram, mais également les données transmises par les organismes d'assurance maladie complémentaire.
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