Economie du «co» : les assureurs se saisissent de ce nouvel enjeu

La consommation collaborative dessine de nouvelles perspectives à l'entreprise «classique» appelée à se renouveler pour prendre le virage de cette transformation sociologique.

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Ce n'est peut-être pas encore la troisième révolution industrielle annoncée par un petit cercle d'économistes, mais c'est déjà un phénomène. Covoiturage, coworking, colocation, costockage, colunching, autopartage, crowdfunding, échange de maisons, AMAP... L'économie collaborative dite du « co » bouscule depuis cinq ans les contours de la consommation traditionnelle et du monde de l'entreprise capitaliste.

Vers la fin de la propriété ?

Déjà en 2000, l'économiste américain Jeremy Rifkin anticipait ce changement de fond lorsqu'il écrivait que « la notion d'accès allait se substituer à celle de propriété (1) ». Certes, ces pratiques remises au goût du jour et des usages ne sont pas nouvelles. « Dans les années 50, des professeurs d'universités avaient mis en place entre eux un système d'échanges de maisons et d'appartements », rappelle Emmanuel Arnaud, fondateur de GuestToGuest.com, site d'échanges de logements de particuliers à particuliers dans 185 pays. Même observation s'agissant du covoiturage. Mais avec Internet, cette tendance a trouvé son catalyseur. Son essor et celui des marchés peer-to-peer ont facilité le regroupement rapide de masses critiques d'internautes en communautés. En témoignent les succès fulgurants de start-up bien installées dans le paysage à l'instar de BlaBlaCar.fr (10 millions d'utilisateurs), AirBnB.fr (10 millions d'utilisateurs, + 450 000 en 2013), GuestToGuest.com (77 000 logements référencés), Drivy.com (300 000 utilisateurs actuels en France) ou KissKissBankBank (9 300 projets traités entre 2010 et 2014). « Claude Lévi-Strauss a démontré qu'il y avait trois fonctions dans le commerce : une fonction échange de biens et de services, une fonction sociale et une fonction physique, souligne Stéphane Hugon, sociologue. Et d'ajouter : « Il a bien montré que tout notre Occident s'est longtemps focalisé sur la première fonction. Internet a surtout révélé les deux suivantes en particulier la dimension sociale via les platesformes de conseils ou les forums. Au final, Internet a été une manière de faciliter la circulation de la parole entre des individus qui partagent des intérêts communs. »

Une idée qui se démocratise

Signe de cette montée en puissance, près d'un Français sur deux (48%) déclarent recourir de façon régulière à la consommation collaborative et environ 30% songent à s'y mettre, selon une étude réalisée par TNS Sofres fin 2013. De quoi faire taire les mauvaises langues pour qui le principal corollaire de l'économie collaborative serait avant tout idéologique, écologique et alternatif, réservé à une élite marginale de « bobos » parisiens écologistes ou encore aux « hipsters », sociotype anticonformiste en vogue chez les 18-28 ans. L'espoir de la consommation collaborative réside surtout dans le fait que le consommateur a désormais un intérêt économique. En cela, il s'adresse à tous les publics selon l'âge, la catégorie socioprofessionnelle (CSP) ou la localisation. « Je ne suis pas du tout certain qu'elle se développe avec la crise. Lorsque l'on regarde les profils des utilisateurs de Drivy.com, ce sont d'abord des individus sensibles aux économies. On apporte aussi un nouveau service : un système flexible de location », souligne Géraud Hubert, responsable des opérations chez Drivy.com Pour preuve : si l'on en croit les conclusions d'une étude Ifop, huit personnes sur dix qui achètent ou louent des biens et services citent les économies réalisées comme principale motivation tandis que 57% mettent en avant le fait que cette pratique leur offre la possibilité de se constituer un complément de revenus.

Seul bémol : pour à peine 7% des Français, le contact humain généré par ces transactions est plébiscité. Une approche de nos compatriotes que déplore Antonin Léonard, cofondateur de OuiShare, un collectif et think tank de start-up et d'associations qui visent à promouvoir cette consommation dite collaborative : « On aurait tort de résumer la consommation collaborative à une approche purement transactionnelle et financière. Il y a quelque chose d'autre qui se joue, qui est de remettre du sens dans sa consommation. Dans une vie urbaine individualiste, les plates-formes collaboratives sont un moyen d'aller vers l'autre et de nouer un lien social. » Reste que ces nouveaux comportements de consommateurs, qu'ils reposent sur des fondements économiques, sociaux, écologiques, politiques ou culturels, ne sont pas sans conséquences sur l'écosystème de l'entreprise poussée à revoir ses règles de distribution, de commercialisation et de conception des offres. Car même si ce pan de l'économie ne se définit pas en dehors du système capitaliste, elle pousse des secteurs traditionnels comme la finance, la banque et l'assurance à s'emparer de son fonctionnement pour se renouveler.

La nécessité de prendre en compte cette évolution

Sur ce point, plusieurs acteurs du secteur se sont saisis de cet enjeu à l'instar de Macif, Maif, MMA ou encore Allianz : « Notre but est de conserver une veille permanente dans l'apprentissage de ces nouveaux usages. Nous sommes tout à fait conscients que l'économie collaborative va se développer et nous devrons, à ce titre, l'accompagner », précise Emmanuel Gombault, directeur technique groupement flottes, particuliers affinitaires et voyages chez Allianz France. Mais à trop vouloir s'imposer comme l'économie « mainstream », le « co » est porteur, à terme, de deux écueils : une course à la rentabilité de ses leaderships qui pourrait conduire à une « centralisation excessive et à l'émergence de monopoles de manière évidente et naturelle », selon Antonin Léonard. Et pas toujours en faveur du consommateur ; d'autre part, une exclusion économique des individus qui auraient peu ou pas à partager. Un paradoxe pour un modèle qui se revendique plus social et solidaire que son pendant libéral.

1. Extrait de « L'âge de l'accès : la vérité sur la nouvelle économie », Jérémy Rifkin, Éditions La Découverte, 2000.

  • Crowdfunding

Appelé aussi financement participatif, c'est le fait de financer des projets via un grand nombre de personnes, chacune apportant une somme d'argent.

  • Coworking

Ou travail coopératif. Un type d'organisation du travail regroupant deux notions : un espace de travail partagé, et un réseau de travailleurs encourageant l'échange et l'ouverture.

  • AMAP

Association pour le maintien de l'agriculture paysanne. Il s'agit d'un mode de consommation de proximité où un producteur fournit un panier de produits frais à un groupe d'adhérents.

  • Colunching

Nouvelle tendance de réseautage chez les travailleurs autonomes ou entrepreneurs sous la forme de repas collectifs avec des personnes inconnues.

50%

La part des Français, qui, d'ici à 2025, ne sera plus propriétaire de son véhicule dans sa mobilité quotidienne.
Source : Observatoire Cetelem de l'automobile
STÉPHANE HUGON, SOCIOLOGUE, RESPONSABLE DU GROUPE DE RECHERCHE SUR LA TECHNOLOGIE ET LE QUOTIDIEN, CHARGÉ DE COURS À L'UNIVERSITÉ PARIS V
« Nous avons vécu cent cinquante ans sur l'obsession de l'individualisme »
  • L'essor de l'économie collaborative illustre-t-il un mouvement de transformation structurelle de la société ?

L'économie collaborative présente les prémices d'une transformation profonde de notre rapport à la production, au lien social, au travailler et consommer ensemble. Nous avons vécu cent cinquante ans sur l'obsession et la fascination de l'individualisme. Toutes les valeurs sociétales de la fin du XIXe jusqu'à la fin du XXe siècle ont participé à l'émancipation de l'individu. « L'air de la ville rend libre », écrivait Karl Marx pour expliquer l'exode rural. Notre société a produit des expériences consommatoires sans histoire, purement rationnelles, avec un marketing de l'offre fondé sur la distinction et le one-to-one particulièrement visible dans l'automobile, la grande distribution et le luxe. Sauf qu'à un moment donné ce mode d'organisation de l'agent économique ne fonctionne plus.

  • En quoi la consommation collaborative n'est pas qu'un concept « boboïsé » mais la marque d'une rationalité économique nouvelle ?

Toute une génération post-Trente Glorieuses, celle des quadras d'aujourd'hui, a été privée du sentiment de l'opulence et de la gratuité. Elle a pris conscience des limites d'une économie productiviste fondée sur le dogme de la croissance extensive et s'est évertuée à identifier de nouveaux gisements de valeur dans sa propre consommation : sous-location d'une pièce de son logement, partage de la voiture, de l'énergie, du parking... C'est une nouvelle utopie économique qui émerge dans laquelle les fonctions ne sont plus figées entre le producteur, le distributeur et le consommateur.

  • Quel rapport entretient désormais l'individu avec le bien ou le service consommé ?

Les agents économiques ne recherchent plus l'unicité du bien mais un objet différent de la masse tout en ressemblant à un petit groupe de référence. C'est l'émergence d'une société qui va se construire par et avec le regard de l'autre. Mais un autre qui n'est pas la foule mais un petit groupe : la tribu. On l'observe bien dans le Web social. Ce n'est plus un individu qui achète un flux d'informations mais le lecteur qui parle au lecteur selon le principe de l'horizontalité. L'individu recherche un lien social perdu par un siècle de fantasme de l'individualité. Dans la consommation collaborative, le produit est porteur de cette relation sociale, d'une tradition et d'une communauté.

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