Frédéric Bizard, le VRP des ultra-libéraux de la santé
Dans son dernier ouvrage, Frédéric Bizard s'attaque à nouveau aux organismes d’assurance maladie complémentaire. Très présent dans les médias, celui qui se présente comme économiste de la santé, vétérinaire de formation, travaille pour le think tank de Charles Millon et s’avère très proche de la frange la plus contestataire des professionnels de santé.
FRANÇOIS LIMOGE

La première édition de son livre était passée relativement inaperçue. Mais, aujourd’hui, Frédéric Bizard est le chouchou des médias. Pas une semaine ne passe sans qu’il ne soit invité dans une émission de télévision, de radio, ou que l’on découvre son interview ou l’une de ses tribunes dans un quotidien. Une célébrité qui l’a sans aucun doute poussé à réactualiser en janvier 2016 son ouvrage de 2013, «Complémentaire santé : le scandale !» (1).
La conquête du pouvoir
De fait, la mise en cause des organismes complémentaires maladie est le cheval de bataille de Frédéric Bizard. Et le ton est donné dès l’introduction de son ouvrage : «[…] la conquête du pouvoir par les Ocam [organismes complémentaires d'assurance maladie, NDLR] dans notre système de santé est en marche à un rythme accéléré ces dernières années». Et pour assouvir cette toute puissance, ils auraient pour principale alliée Marisol Touraine, l’autre bête noire de l’auteur : «La politique menée par la ministre de Santé sera conforme aux engagements pris envers le secteur publiquement pour certains et plus secrètement pour d’autres.»
Complot et missions secrètes
Un véritable complot, donc ! Et celui que son éditeur présente comme «économiste, spécialiste des questions sociales et de santé» en veut pour preuve «une attaque virulente contre les compléments d’honoraires des médecins de secteur 2 […]. Pour permettre aux Ocam de réduire leurs remboursements, il fallait diaboliser cette pratique, première mission accomplie !» Et la ministre aurait mené une seconde mission «[…] restée secrète jusque-là, tant elle était injustifiable […], le report d’un an de l’obligation de transparence des frais de gestion des Ocam vis-à-vis des assurés». Mais la liste des gages apportés par la ministre ne s’arrêterait pas là «[…] à chaque année, sa loi ou son décret pour servir les Ocam ou au moins la Mutualité française», poursuit Frédéric Bizard, qui cite notamment les contrats ACS et les contrats seniors.
Une ministre fraichement accueillie
Une thèse qui ne résiste pas aux faits, tant les rapports ont été justement tendus entre les assureurs et la ministre de la Santé depuis son arrivée. Et d’ailleurs, Marisol Touraine a été accueillie très fraichement au congrès de la Mutualité de Nantes, en juin 2015. L’Unocam, union réunissant toutes les familles de la complémentaires, a rendu un avis défavorable au projet de décret réformant l’ACS, et l’introduction de garanties spécifiques pour les plus de 65 ans a été vivement critiquée par les complémentaires santé, et notamment les mutuelles, déjà malmenées par la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés au 1er janvier 2016.
L’épouvantail Google
Mais peu importe, Fréderic Bizard ne s’embarrasse pas de ce genre de détails pour étayer sa thèse du complot. Il affirme ainsi sans sourciller que la loi santé «va donner satisfaction à une revendication de longue date des Ocam : l’accès à l’information médicale (open data) présent dans les serveurs de l’assurance maladie». Et il n’hésite pas, quelques pages plus loin, à pronostiquer le pire des scénarios : «Une société comme Google a déjà banalisé le séquençage génomique, elle ne manquera pas de le généraliser en le mettant au service des Ocam», qui, par l’intermédiaire de sociétés spécialisées, «vont être en mesure de profiler les assurés».
Des contrats sans sélection médicale
Là aussi, tous ceux qui connaissent un peu le sujet savent d’une part que l’accès aux données de remboursement anonymisées de l’assurance maladie est totalement encadré, via l’Institut des données de santé (IDS) et la Cnil. Et d’autre part que le fameux article 47 de la loi de santé a au contraire considérablement durci les conditions d’accès des données publiques aux acteurs privés. Ce qui a d’ailleurs là aussi suscité des critiques des organismes complémentaires et des associations de patients, mais également des journalistes. Quant à la sélection médicale, on rappellera que la réglementation en vigueur et le dispositif de taxes ont conduit à ce que la quasi-totalité des contrats santé soient aujourd’hui en France «solidaires», c’est-à-dire sans questionnaire médical.
Mais, visiblement, Frédéric Bizard ne maîtrise pas vraiment cette réglementation des contrats solidaires, introduite en 2001, avant celle des contrats responsables : «Il existe un vice originel à ces contrats. D’un côté (l’aspect solidaire), on cherche à éviter le renoncement aux soins avec une prise en charge minimale ; de l’autre (l’aspect responsable), on impose des limites aux possibilités de prise en charge.»
Les mutuelles, les institutions de prévoyance et la Fifa
A défaut de rigueur, Frédéric Bizard donne dans l’amalgame et l’insinuation. Au point d’établir un parallèle entre les responsables de mutuelles ou d’institutions de prévoyance et les dirigeants corrompus du football international : «Lorsqu’un secteur non lucratif pèse près de vingt-cinq milliards d’euros […], il est nécessaire de mettre en place un système de contrôle efficace. […] Le scandale de la Fifa (Fédération internationale de football) en est un bon exemple.»
Contre-vérités, approximations, raccourcis, amalgames et comme toute référence, des chiffres et citations piochés çà et là dans des rapports publics : tout cela n’est pas totalement surprenant ! Derrière le CV ronflant affiché par Frédéric Bizard, on peut s’interroger sur sa véritable formation en économie de la santé, comme l’a récemment souligné notre confrère de la Lettre de l’assurance. Il n’est d’ailleurs ni adhérent du Collège des économistes de la santé ni de la Société française en économie de la santé.
Vétérinaire et homme d’affaires
Avant de prétendre travailler sur le système de santé des hommes, Frédéric Bizard, 48 ans, a d’abord été un spécialiste du soin… des animaux. Diplômé de l’Ecole nationale vétérinaire de Maison-Alfort, il a ensuite décroché un MBA de l’Insead de Fontainebleau, avant de se lancer dans les affaires. Il créée ainsi, au début des années 2000, la société Kiria, qui regroupe alors un magasin à Paris et un site Internet spécialisés dans le bien-être. Le tribunal de commerce de Paris a prononcé sa liquidation judiciaire en mai 2012, après que Kiria a été placée en redressement judiciaire en août 2011. C’est à cette époque que Frédéric Bizard a créé un cabinet dénommé Salamati Conseils et commencé à faire parler de lui.
Mais, hormis deux ouvrages, nulle trace de travaux et de publications du prétendu économiste de la santé. Pas plus en France qu’à l’étranger, alors que le communiqué de presse de son dernier livre le présente comme «un expert reconnu des systèmes de santé en France et à l’international». Et si Frédéric Bizard enseigne bien à Science-po Paris comme vacataire, son cours s’intitule «Communication et développement en entreprise».
Directeur santé au sein du think tank de Charles Millon
Sa seule activité notoire en lien avec la santé – curieusement rarement évoquée dans ses biographies – tient à ses fonctions au sein de l’Institut Thomas More. Il est effectivement directeur du programme santé de ce think tank, créé, nous apprend l’Express, à l’initiative de Charles Millon. Aux côtés de l’ancien leader de l’UDF exclu pour alliance avec le FN, visiblement toujours très actif, siègent notamment dans les instances de l’Institut l’entrepreneur Charles Beigbeder et plusieurs figures de la Manif pour tous.
Le consultant ne manque pas d’ironie lorsqu’il affirme en préambule de son ouvrage : «Ces travaux ont été menés indépendamment de toute institution pour demeurer entièrement libre dans notre réflexion.» Mais, peut-être plus encore, ce sont les liens privilégiés de Frédéric Bizard avec certains syndicats et mouvements de professionnels de santé qui éclairent la teneur de son discours.
Un ouvrage financé par le syndicat des chirurgiens
Le mensuel Alternatives économiques ne manquait pas de souligner en 2013 que l’UCDF, l’Union des chirurgiens de France, avait financé son ouvrage «Complémentaire santé : le scandale !», aujourd’hui réactualisé. Notre «expert» vient de rédiger la préface du dernier ouvrage de l’UFML consacré à la lutte contre la loi santé ; l’Union française pour la médecine libre est une association de médecins issus du mouvement Les médecins ne sont pas des pigeons. Et comme l’a révélé récemment le blog de la plate-forme Santéclair, la Fédération des syndicats dentaires libéraux (FDSL) s’est largement appuyée sur Frédéric Bizard dans son memento contre la généralisation du tiers-payant envoyé au Conseil constitutionnel. Bombardé «économiste, professeur à Science – Po Paris», il jouait le 3 mars dernier, à Lyon, la guest-star aux côtés du président de la Fédération nationale des opticiens de France (FNOF), Alain Gerbel, lors d’une manifestation organiséepar des opticiens locaux.
Haro sur les réseaux de soins
Point commun de ces organisations de professionnels de santé, elles figurent parmi les plus virulents opposants aux réseaux de soins, initiés par les organismes complémentaires santé afin de réguler la qualité et les tarifs des prestations où elles interviennent comme principaux financeurs (optique, dentaire…). Et c’est d’ailleurs sur cette thématique qu’est intervenu Frédéric Bizard dans la capitale des Gaules devant les opticiens.
Dans son dernier ouvrage, il consacre tout un chapitre à la nécessité pure et simple de supprimer ces réseaux. Et pour appuyer son propos, il s’attarde longuement sur le cas des Etats-Unis pour arriver à cette singulière démonstration : les USA sont les champions des réseaux, mais ils ont des résultats sanitaires catastrophiques, donc les réseaux sont mauvais pour les systèmes de santé. Ce n’est pas vraiment les conclusions de l'étude mené par le Conseil national de recherches sur les différences d’espérance de vie dans les pays développés, qui pointe le tabagisme, l’alimentation et les inégalités sociales parmi les facteurs explicatifs de la situation américaine.
Pas un mot sur les dérives dans l'optique
Notre consultant insiste par ailleurs sur les dangers que constituent les réseaux pour l’exercice médical, tout en reconnaissant à la fin du chapitre que la loi Le Roux interdit la contractualisation avec les médecins. Les réseaux interviennent aujourd’hui principalement sur l’optique. Mais pas un mot de Frédéric Bizard sur les dérives de ce secteur, maintes fois épinglés entre autres par l’association de consommateurs Que Choisir, et aucune mention bien évidemment de l’avis de l’Autorité de la concurrence quant aux effets positifs de ces réseaux pour les assurés.
Vive les dépassements d’honoraires
Viscéralement anti-réseaux, Frédéric Bizard est a contrario un grand défenseur de la part hors sécu «appelée abusivement dépassements d’honoraires» et vilipende les «refus des Ocam de couvrir efficacement la part libre des honoraires [qui] ne reposent sur aucun fondement rationnel lié à la rémunération des médecins libéraux». Au passage, celui qui ne cesse d’invoquer les vertus de l’assurance maladie oublie d’expliquer au lecteur que l’une des bases de la contractualisation entre la sécu et les médecins réside dans le respect des tarifs opposables contre une prise en charge d’une partie des charges sociales des praticiens.
Le retour du « trésor de guerre »
Le message de Frédéric Bizard est clair : si les Français n’arrivent pas à se soigner, c’est de la faute aux complémentaires santé qui doivent rembourser les yeux fermés, sans aucun contrôle, ce que la Sécu n’est pas en mesure de prendre en charge. Et cela en utilisant leurs fabuleuses réserves, la fameuse rengaine du «trésor de guerre» des mutuelles, qui a fait débat lors du précédent quinquennat. Pour rappel, l’amendement visant à taxer les réserves des mutuelles, porté par plusieurs députés de la majorité à l’automne 2011, mais contesté par d’autres comme le spécialiste des questions de santé Yves Bur, avait fini par être retiré à la demande du gouvernement de François Fillon.
Ne plus rembourser le ticket modérateur
Mais une autre solution est également préconisée par Frédéric Bizard, «une mesure simple et cohérente avec la conception du modèle français de santé serait d’interdire le remboursement des tickets modérateurs de ville par les contrats responsables et solidaires des Ocam […]. Ceci permettrait en effet de «libérer» près de 15 milliards d’euros pour financer le vrai risque sur la part des tarifs hors sécu, qui augmentent d’année en année en dentaire, optique, et consultation».
L’auteur l’affirme sans rire : «Ce serait de loin la mesure la plus efficace pour lutter contre les renoncements aux soins pour raisons financières mais aussi contre les déserts médicaux […].» Et surtout pour contenter les intérêts de certains professionnels de santé, car pour le coup, sans être économiste de la santé, difficile d’imaginer qu’un moindre remboursement des médicaments et des consultations en médecine de premier recours n’aurait aucun impact sur l’accès aux soins des Français, notamment des plus modestes ! Sans parler des effets sur la prévention et l’engorgement des urgences.
(1) «Complémentaire santé : le scandale !» - Edition Dunod - 192 p - 14,90 €
Base des organismes d'assurance
AbonnésRetrouvez les informations complètes, les risques couverts et les dirigeants de plus de 850 organismes d’assurance
Je consulte la base3Commentaires
Réagir