Complémentaire santé : ce que l'ANI a vraiment changé
Même si elle n’a pas provoqué la bascule du marché vers l’assurance individuelle, la réforme de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés a bel et bien constitué un tournant pour le marché, chiffré pour la première fois par la Drees.

C’est la première étude qui vient quantifier de manière aussi fine « l’effet ANI » : grâce à la réforme de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés au 1er janvier 2016, la proportion de salariés ayant accès à une couverture a progressé de 28 %, indiquent la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministère de la Santé) et l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes). L’étude confirme ainsi que l’ANI a bien constitué un tournant, car la progression du nombre d’établissements proposant une couverture santé a été beaucoup plus importante entre l’avant et l’après ANI que par rapport à la précédente édition de l’enquête, menée en 2009. En effet, cette année-là, seuls 44 % des établissements (représentant 72 % des salariés) proposaient une complémentaire santé collective, un taux qui n’avait progressé que de 7 points (51 %) six ans plus tard, mais qui a bondi de près de 30 points pour atteindre 84 % et 96 % des salariés en 2017, an II de la généralisation.
Autre confirmation, l’ANI a surtout bénéficié aux salariés des très petits établissements, qui sont désormais deux fois plus nombreux à proposer une complémentaire santé, gommant les disparités liées aux décisions des entreprises ou des branches professionnelles. Mais ce sont aussi ces mêmes petits établissements qui restent à la traîne : en effet, un quart des entreprises de moins de cinq salariés ne proposaient toujours pas de complémentaire santé l’an dernier. La Drees propose plusieurs explications. Dans la majorité des cas, l’absence de contrat collectif est liée au fait que l’ensemble des salariés a demandé une dispense d’adhésion. Les motifs en sont multiples : bénéficier de la Couverture maladie universelle complémentaires (CMU-C) ou de l’Aide à la complémentaire santé (ACS), être salarié de l’entreprise au moment de la mise en place du nouveau contrat collectif par décision unilatérale de l’employeur et conserver son contrat, être couvert par celui de son conjoint, travailler en CDD depuis moins de trois mois, ou encore dépendre du régime d’Alsace-Moselle.
Peu de réfractaires
Par ailleurs, le nombre d’employeurs réfractaires à la généralisation de la complémentaire santé paraît très faible : seuls 1 % de ceux qui ne proposent rien déclarent ne pas souhaiter mettre en place de contrats collectifs. Autre enseignement de l’étude, les établissements nouvellement couverts privilégient les sociétés d’assurance au détriment des mutuelles. Des données qui convergent avec celles des statistiques de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou du Fonds CMU qui montrent une érosion continue des parts de marché de la mutualité. Tout semble donc indiquer que la force commerciale des sociétés d’assurance et leur stratégie de multiéquipement des entreprises clientes ont été payantes. Sur 912 M€ de cotisations supplémentaires collectées en collective en 2016 par rapport à 2015 par l’ensemble des acteurs du marché, les assureurs s’en sont arrogé 615 M€, les paritaires 281 M€ et les mutualistes 16 M€. La croissance globale fait d’ailleurs que les assureurs ont vu leurs parts de marché en collective croître tandis que les acteurs de l’économie sociale reculent.
Évolution des garanties
L’ANI a surtout été un marché de conquête. Car parmi les entreprises déjà équipées, 41 % ont apporté au moins un changement à leur contrat, mais seulement 7 % ont changé d’opérateur. L’évolution la plus fréquente concerne le niveau des garanties (18 % des cas). La Drees précise que l’évolution des remboursements est dans un tiers des cas à la hausse, un tiers à la baisse et pour le dernier tiers variable selon les garanties. Statistiquement, rien ne permet donc de vérifier l’hypothèse d’un nivellement par le bas de la couverture santé des salariés, une crainte souvent évoquée par le marché lors de la mise en œuvre de l’ANI.
Une autre leçon de l’étude peut se prêter à des interprétations divergentes : depuis la censure des clauses de désignations par le Conseil constitutionnel, en juin 2013, on a souvent entendu les acteurs paritaires – tenants quasi exclusifs desdites clauses – déplorer le faible attrait des clauses de recommandation qui les ont remplacées. Mais lorsqu’elles existent, ces recommandations de branches sont toutefois suivies dans plus d’un cas sur deux.
Au minimum légal
Enfin, l’entrée en vigueur de l’ANI n’a guère modifié le niveau de la participation financière des employeurs, puisqu’il n’a progressé que de deux points, passant de 56 % lors de l’enquête ESPS de 2009 à 58 % en 2017. Et encore, la Drees impute ce faible écart à l’effet de deux obligations ayant des influences opposées. D’une part, les contrats à adhésion facultative devenus obligatoires avec une participation minimum de 50 % tirent la participation à la hausse. D’autre part, l’intégration de nouveaux établissements qui ne proposaient rien la tire à la baisse. C’est d’autant plus vrai que ces établissements sont majoritairement de petite taille et que la plupart d’entre eux (79 %) ont aussi privilégié le minimum légal.
Effets pervers
Cet état des lieux montre que l’ANI a bel et bien étendu la couverture globale des salariés, en protégeant des personnes qui ne l’étaient pas. Mais cette progression est faible et pourrait avoir eu un effet pervers. Une autre étude, menée par l’Irdes et rendue publique en juin dernier, indiquait que 2 % des personnes auparavant sans complémentaire santé étaient désormais couvertes. Et elle ajoutait que l’ANI a eu un impact mitigé sur le bien-être collectif de la population, mesuré à l’aune des gains économiques. Globalement, l’Irdes estimait qu’il n’y aurait eu que 7 % de gagnants, contre une moitié de la population qui aurait vu son bien-être se réduire. La faute à des facteurs comme la hausse des primes des contrats individuels…
Pierre-Alain Boscher (Optimind Winter) : « Des dispenses sous-évaluées »
« Je pense que la méthode de comptage des contrats souscrits utilisée par la Drees conduit à sous-évaluer le niveau des dispenses. Certaines entreprises ont bien signé des contrats collectifs sans que les salariés y adhèrent pour autant. Les opérateurs d’assurance observent dans leur portefeuille des contrats vides ou très partiellement remplis. Il existe aussi des entreprises qui n’ont délibérément pas appliqué l’obligation de couverture de leurs salariés. Le phénomène existait déjà au sein des branches du temps des désignations. Ces entreprises s’exposent certes à un risque social, mais tous les salariés ne sont pas prêts à poursuivre leur employeur aux Prud’hommes parce qu’il ne leur propose pas de complémentaire santé. Les données sur les recommandations appellent également un commentaire. Au-delà de la moyenne, il faut souligner les fortes disparités entre les taux d’adhésion des recommandations qui ont suivi des désignations, plutôt bien suivies, et les nouvelles qui ont souffert de la concurrence. »
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