L'évolution du cadre réglementaire du secteur automobile
Nathalie Giroudet-Demay, avocate au barreau de Paris, DESS droit de la distribution

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Nathalie Giroudet-Demay, avocate au barreau de Paris, DESS droit de la distribution

Le secteur de la distribution et de la réparation automobile en Europe représente un chiffre d'affaires de plus de 800 MdE et emploie plus de 2 800 000 salariés (source CNPA, « Observations relatives au rapport d'évaluation de la Commission européenne »), sans compter les emplois induits. Le poids économique du secteur automobile en Europe est donc considérable et justifie amplement que toute modification de l'environnement juridique dans lequel il évolue soit le fruit d'une réflexion approfondie menée avec l'ensemble des opérateurs économiques concernés.
Or, justement, le dispositif réglementaire qui régit depuis de nombreuses années les relations contractuelles entre les entreprises de l'automobile est aujourd'hui sensiblement remis en cause par la Commission européenne. S'appuyant sur les conclusions d'un rapport d'évaluation publié en 2008, cette dernière a annoncé en juillet 2009 sa volonté de ne pas renouveler le règlement d'exemption automobile n° 1400/2002 lorsqu'il arrivera à échéance en 2010.
Les réseaux de distribution, une notion essentiellement économique
Pour comprendre le rôle et les ambitions de la Commission européenne au travers de ses règlements d'exemption, et, surtout, pour appréhender les enjeux pour le secteur automobile, un retour sur la notion de réseaux de distribution et sur le droit qui leur est applicable s'impose.
Si l'on reprend la définition donnée par le professeur Philippe Le Tourneau (« Les contrats de concession », Litec, 2003, n° 2), le réseau de distribution s'analyse en « un système d'organisation de la distribution, par un circuit court, et de coopération contractuelle ». Il s'agit d'« un ensemble de distributeurs, animés par un intérêt commun (celui du réseau) au sein d'une organisation homogène, d'un système dirigé par le concédant ».
D'un point de vue pratique, l'organisation d'un réseau de distribution par un producteur révèle la volonté ce celui-ci de maîtriser la distribution de ses produits et l'utilisation de sa marque. Il n'entend pas laisser n'importe qui distribuer n'importe comment ses produits.
Dès lors, si le réseau peut devenir « un merveilleux système de veille stratégique et d'incitation à l'innovation », il peut également se révéler « un instrument d'éventuelle domination d'une entreprise sur l'autre » (Philippe Le Tourneau, « Les contrats de concession », préc. n° 5-6). D'un point de vue juridique, les réseaux de distribution génèrent des relations contractuelles très spécifiques, qu'il a fallu encadrer. Considérés initialement comme une notion exclusivement économique, les réseaux sont aujourd'hui de véritables sujets de droit ayant même fait émerger un nouveau droit, celui de la distribution.
Ce droit regroupe l'ensemble des règles applicables aux relations contractuelles de distribution, et tout particulièrement celles qui émanent du droit des obligations et du droit de la concurrence interne et communautaire.
Le droit de la distribution a pour ambition de concilier des principes parfois contradictoires comme celui de la liberté contractuelle et celui de la libre concurrence.
Liberté contractuelle versus liberté de la concurrence
Le principe de liberté contractuelle voudrait que le constructeur définisse librement avec les membres de son réseau la nature et la portée des engagements réciproques : les clauses relatives à l'enseigne, à la quantité de véhicules à commander, aux objectifs de vente, à la formation du personnel, au territoire concédé...
Le principe de libre concurrence, tel qu'il est notamment défini par le traité de Rome, voudrait pour sa part interdire toute entente entre entreprises, toute action concertée, susceptible de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Or, la conclusion d'accords verticaux entre un constructeur et les membres de son réseau est de nature à faire obstacle au libre jeu de la concurrence, dès lors que ces accords incluent des clauses visant à restreindre le développement de la concurrence intramaque - c'est-à-dire entre les distributeurs d'un même réseau - ou intermarque - entre distributeurs de réseaux de marque concurrents. Tel pourra être le cas de clauses organisant une exclusivité territoriale, une interdiction de distribuer des produits concurrents...
s’était imposée, privilégiant
l’efficience économique sur
la concurrence pure et parfaite.
Le droit de la concurrence a donc un impact majeur sur la relation contractuelle liant le constructeur aux membres de son réseau. Ainsi, historiquement, les accords verticaux étaient considérés, par essence, comme anticoncurrentiels, et ils étaient donc interdits. Au fil du temps, une approche plus pragmatique s'est imposée considérant qu'il convenait de privilégier l'efficience économique plutôt qu'une théorie visant à garantir une concurrence pure et parfaite.
Selon cette approche, consacrée par l'article 81§3 du traité de Rome, les accords verticaux de distribution peuvent apparaître comme d'efficaces alternatives au marché, dès lors qu'ils apportent des avantages économiques, notamment au profit du consommateur, qui surpassent globalement les inconvénients liés à la restriction de la concurrence.
La recherche de l'efficience économique implique de maîtriser parfaitement les données économiques du marché visé, mais également de savoir anticiper le comportement concurrentiel de ses opérateurs. S'estimant dotée de cette compétence, c'est par le difficile exercice de l'adoption d'un texte dit « règlement d'exemption » que la Commission européenne définit périodiquement les conditions que doivent respecter les accords verticaux pour être exemptés de l'interdiction des ententes anticoncurrentielles posée par le traité de Rome.
On peut considérer que le règlement d'exemption détermine un équilibre à respecter par les cocontractants pour rendre leur relation contractuelle compatible avec les objectifs du traité de Rome. Ainsi, après avoir adopté un premier règlement d'exemption spécifique au secteur automobile en 1985, elle en a adopté un deuxième en 1995, puis un troisième en 2002, chacun adaptant le précédent à l'évolution du marché et des conditions de concurrence.
Au bout du compte... des déceptions
Or, le règlement d'exemption 1400/2002 actuellement en vigueur arrive à échéance en mai 2010.
Alors que, depuis 1985, la Commission rappelait que l'automobile devait bénéficier de mesures spécifiques, elle a finalement annoncé en juillet 2009 son intention de ne pas renouveler le règlement automobile lorsqu'il arrivera à terme (lire « JA » juillet-août 2009, p. 6) et de faire basculer ce secteur d'activité dans un règlement d'exemption dit « général » applicable à tout accord vertical quelle que soit l'activité concernée.
Jusque-là, la Commission considérait également qu'il était indispensable de donner aux distributeurs, dont la grande majorité sont des petites et moyennes entreprises, une plus grande indépendance commerciale vis-à-vis des constructeurs. Elle émet désormais un avis très critique sur la plupart des mesures précédemment adoptées en ce sens, tel le « multimarquisme » ou les mesures de protection des concessionnaires (motivation des résiliations, liberté de cession du contrat, durée minimale du contrat ou du préavis de résiliation...), considérant essentiellement qu'elles n'ont pas eu les effets attendus et qu'elles ne sont plus nécessaires au maintien d'une concurrence efficace sur le marché automobile.
Ce changement radical de politique de la part de la Commission européenne suscite de nombreuses réactions, et même un certain nombre d'incompréhensions, de la part des opérateurs économiques concernés. Le futur régime d'exemption oppose déjà constructeurs et distributeurs, les premiers se félicitant globalement de l'abandon d'un texte spécifique à l'automobile et les seconds le déplorant. Toutefois, constructeurs comme distributeurs relèvent tous de nombreuses faiblesses et incohérences dans la méthode et l'argumentation de la Commission européenne et attendent que celle-ci corrige au plus vite sa copie. Restons attentifs, les débats sont loin d'être clos...
Une fonction essentielle, donc à surveiller
« Quelles que soient les formes contractuelles qu'elle revêt, la distribution n'est pas une catégorie juridique, mais un mécanisme économique remplissant une fonction essentielle en économie de marché. Dès lors, une construction économique comme celle des Communautés doit suivre avec vigilance la manière dont cette fonction s'exécute, et notamment sa conformité avec la politique de concurrence » (J. Schapira, G. Le Tallec, J.-B. Blaise et L. Idot : « Droit européen des affaires », t. 1, 5e éd., 1999, p. 367).