Tous déçus : mesure protectionniste pour l'un, demi-mesure pour l'autre
Propos recueillis par Véronique Crouzy

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Propos recueillis par Véronique Crouzy
Quelles sont les raisons qui vous ont conduits, vous, Christian Bourgeon, à représenter les distributeurs, et vous, Joseph Vogel, les constructeurs ?
Christian Bourgeon - En tant qu'avocat, je me suis très vite intéressé au droit de la concurrence et de la distribution, en prise avec les réalités économiques et commerciales. Ma rencontre avec Jean Threard, dont j'ai été le collaborateur puis l'associé, m'a amené à me ranger dans le « camp » des distributeurs qu'il avait lui-même choisi. Conseiller des entreprises de distribution, qui sont souvent des PME, permet d'avoir des relations personnelles et directes avec leurs dirigeants, beaucoup plus difficiles à établir avec les groupes industriels.
Joseph Vogel - Mon environnement familial a toujours été proche de l'entreprise et de l'offre. Quand, par vos références intellectuelles, vous vous sentez attiré par les thèmes propices à la défense des offreurs (Adam Smith, David Ricardo, Jean-Baptiste Say), vous avez tendance à pouvoir mieux défendre les fournisseurs. Enfin, l'un des premiers clients importants à nous faire confiance au début des années quatre-vingt-dix a été le directeur juridique d'un importateur automobile, qui a cru en nous et a montré la voie à d'autres marques.
Vous semblez tous les deux déçus par les orientations prises par la Commission européenne. Quelle mesure vous paraît la plus critiquable ?
C. B. - Il y a une forme de confusion entre politique de la concurrence et politique industrielle. Lorsqu'elle utilise ses pouvoirs pour arrêter un règlement d'exemption, la Commission intervient comme autorité de concurrence. Or, ses orientations paraissent procéder moins d'une analyse objective des caractéristiques concurrentielles de la vente et de l'après-vente automobiles, que du souci d'assurer la pérennité de l'industrie automobile européenne. Cette dernière va être confrontée à la concurrence des constructeurs indiens et chinois, après celle des Japonais et des Coréens, et devra investir lourdement pour s'adapter aux contraintes environnementales. Mais les résultats sont rarement satisfaisants lorsqu'on veut utiliser un outil (règlement concurrence) pour un autre usage que celui pour lequel il est fait.
J. V. - Il n'y a rien de pire qu'un mauvais arbitrage ou une demi-mesure. Or, c'est le scénario proposé par la Commission. Il consiste en effet à reporter de trois ans pour la distribution de véhicules neufs le modèle économique du règlement général, alors que ce modèle s'impose d'évidence pour des raisons de concurrence et d'efficacité économique, comme la Commission le reconnaît elle-même.
L'Association française d'étude de la concurrence a fait savoir qu'elle regrettait que « la Commission n'ait pas tenu compte des contributions exprimées l'an dernier, et ne semble avoir retenu que le point de vue de certains constructeurs ». Partagez-vous cette analyse ?
C. B. - La position de l'Afec est intéressante en tant qu'association indépendante regroupant magistrats, avocats, juristes d'entreprise, universitaires et même des membres de l'Autorité de la concurrence et de la DGCCRF. Son opinion n'est d'ailleurs qu'un constat objectif. En dehors de l'Acea [Association des constructeurs automobiles européens], les opérateurs du secteur automobile ont tous exprimé des réserves. C'est le cas des autorités nationales de concurrence avec leurs observations écrites, et même de certains constructeurs (comme Ford) qui craignent un « verrouillage » du marché européen au détriment des constructeurs non européens.
J. V. - J'ai le plus grand respect pour le travail de l'Afec et je participe régulièrement à ses manifestations. Mais je ne partage pas ses observations sur le renouvellement du règlement automobile. Il ne me semble pas que la Commission ait retenu le point de vue des constructeurs. L'Acea a clairement indiqué qu'elle souhaitait un passage de la distribution et de l'après-vente automobile au règlement général, avec une période de transition de deux ans. Par ailleurs, l'Afec a repris le point de vue des distributeurs automobiles en faveur du multimarquisme et des clauses protectionnistes des concurrents, alors que la Commission a démontré les effets pervers du multimarquisme et a fait valoir, à juste titre, que d'éventuelles dispositions de protection des cocontractants ne relevaient pas du droit de la concurrence, mais du droit des contrats.