Inflation : enjeux et solutions pour les assureurs

L’environnement actuel de fortes hausses des prix et des taux peut constituer un défi pour les assureurs. Comment y faire face ? Fabrice Sauzeau (Candriam) nous éclaire.

 

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Inflation : enjeux et solutions pour les assureurs

« [La révolution] soulevait cette vaste détresse avec deux moyens périlleux, l’assignat et le maximum ; l’assignat était le levier et le maximum était le point d’appui. »Victor Hugo, Quatrevingt-Treize

L’assignat, émission souveraine du gouvernement révolutionnaire gagé sur les biens nationalisés puis monnaie d’échange s’effondre entre 1789 et 1795. Pour cause : un volume émis excessif et une fraude massive, en partie entretenue par l’ennemi britannique. La confiance en ces titres est ruinée et l’inflation entretenue à un niveau élevé. Ni la loi du maximum généralisé (contrôle des prix), ni la prison pour les agioteurs (spéculateurs) n’ont enrayé cette dynamique, dont l’issue fut une réallocation radicale des richesses en France entre la noblesse et la bourgeoisie.

Nous n’en sommes pas encore là ! Mais l’inflation, elle, est bien là avec une hausse des prix de 8,6 % en France entre fin 2020 et septembre 2022, selon Eurostat (indice des prix à la consommation harmonisée), soit sensiblement la même variation en moins de 2 ans que sur les 8 années de fin 2011 à fin 2020. Et ce, malgré les mesures de soutien qui limitent la hausse des prix de l’énergie pour le consommateur.

L’épisode récent d’inflation est inédit depuis une quarantaine d’années. Il reste même remarquable sur un historique beaucoup plus long, comme le montre le graphique ci-dessous depuis 1950 aux États-Unis.

Les causes en sont connues. D’abord, les énormes quantités de liquidité injectées dans l’économie. Ensuite, les tensions dans les chaînes d’approvisionnement liées aux tendances de démondialisation accélérées par la crise du COVID, la guerre en Ukraine et la politique zéro-COVID en Chine.

Le consensus de marché reste sur une inflation modérée à long terme, avec un swap d’inflation sur 5 ans dans 5 ans qui a varié entre 2 et 2,5 %¹ entre mars et octobre 2022. L’amplitude du mouvement et sa durée ont cependant été depuis son début largement et systématiquement sous-estimées et ses conséquences sur le niveau des taux d’intérêt sont totalement inédites de mémoire récente.

Le niveau absolu atteint fin 2022 par les taux semble plus « normal » par rapport aux vingt dernières années, comme il apparaît dans le graphique ci-dessus. C’est encore le cas dans une perspective de deux siècles, comme on peut l’observer dans l’étude sur deux siècles de Vivien Levy-Garboua et Éric Monnet (Les taux d’intérêt en France : une perspective historique | AEFR). En revanche, la brutalité de leur variation peut certainement déstabiliser les acteurs économiques. L’inflation conjuguée à la hausse des taux s’est ainsi traduite par une baisse des valeurs boursières et, plus important encore peut-être pour les assureurs, un écartement des spreads sur les marchés interbancaires et obligataire.

Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.²

Ces chocs sont encore trop récents pour en mesurer toutes les conséquences sur les assureurs, mais des premières tendances se dessinent déjà.

Les activités d’assurance non-vie subissent la hausse des prestations à payer et des frais de gestion, et donc voient le ratio des sinistres sur primes se dégrader. Ce segment d’activité étant principalement associé à des contrats d’un an, terme au bout duquel les assureurs peuvent revaloriser leurs primes, cette dégradation pourrait n’être que temporaire. L’ajustement à la hausse des primes d’assurance est cependant contraint par deux éléments : d’abord la pression concurrentielle entre assureurs, ensuite la pression politique. Les primes d’assurance représentent 3,7 % du budget des ménage en France, contre 2,4 % en Europe, d’après le poids de l’assurance dans l’indice harmonisé des prix à la consommation³. Il est peu probable que le gouvernement s’enthousiasme à l’idée d’une hausse des tarifs des assurances obligatoires lorsqu’il s’endette lui-même pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages. La hausse des taux, elle, a un impact limité et globalement positif : les placements sont généralement effectués sur des maturités courtes, ce qui permet une réallocation assez rapide à des rendements plus attractifs.

L’inflation n’a que peu de répercussion directe sur l’assurance-vie, mais la hausse des taux constitue, elle, une rupture majeure.

Les risques sur l’activité commerciale vie sont importants, unités de compte et fonds en Euro confondus. Les fonds en Euro ont accumulé des stocks d’obligations achetées à des rendements très faibles qui vont peser encore quelques années sur leur rentabilité, située entre 1 % et 2 % pour la plupart des contrats4. A court terme, difficile de tenir la comparaison avec une inflation autour de 6 %, un livret A à 2 % et des offres bancaires qui pourraient bientôt offrir des rendements proches de 3 %. Au niveau des unités de compte, la perception du risque par les assurés pourrait elle aussi être ébranlée pour longtemps. Comme montré dans le graph 3, presque toutes les classes d’actifs ont perdu entre -15 % et -20 % entre janvier et mi-octobre 2022 ; obligations d’Etats comprises, pourtant associées à des produits peu risqués.

Les ratios prudentiels de certains acteurs de l’assurance-vie devraient en revanche s’améliorer avec la hausse des taux, en premier lieu ceux qui n’ont pas totalement couvert leur risque de taux. Les assureurs devraient aussi bénéficier de l’écartement des swaps spreads, qui sont directement inclus dans la courbe d’actualisation réglementaire des provisions techniques.5

Dès lors, assureurs et mutuelles peuvent tirer parti de ce contexte pour réajuster leurs investissements. Les obligations offrent désormais des rendements plus attractifs. Le crédit aux entreprises en particulier permet de capter la hausse des taux de swap, pour un coût en capital modéré. Il convient au préalable de considérer plusieurs aspects en mobilisant les ressources adaptées.

En premier lieu, déterminer le montant à investir. Beaucoup de portefeuilles présentent aujourd’hui des moins-values latentes importantes qui contraignent les réallocations. L’activité d’assurance va générer des flux de trésorerie entrant et sortant et des engagements sur des actifs privés peuvent avoir été pris. L’assureur calibrera et planifiera donc ses réinvestissements selon les plus ou moins-values à réaliser et des liquidités disponibles ou exigibles à court ou moyen terme.
En second lieu, déterminer le capital alloué dans la stratégie d’investissement par catégorie obligataire. En fonction de la cible de rendement et du budget de capital, le portefeuille pourra inclure des obligations de notation plus ou moins élevée.

Portefeuille optimal de couverture d’un passif d’assurance à 10 ans selon le capital alloué

Le tableau ci-dessous présente une construction de portefeuille simplifiée, purement quantitative, par grande classe d’actif. On minimise la différence de volatilité entre un passif de duration 10 ans actualisé aux taux swaps et un portefeuille obligataire sous contrainte d’un rendement cible donné dans la première ligne du tableau. Une entreprise avec peu de capital disponible investira majoritairement sur des obligations souveraines. Lorsque les marges en capital sont plus larges, des investissements en obligations de notations inférieures pourront être intégrées au portefeuille. On exclut ici d’office les obligations de notations inférieures à B, qui présentent un risque de défaut très élevé.

Le rendement attendu utilisé ici est le rendement à l’achat sur les indices ICE BoA pour chaque segment, corrigé de la perte attendue liée au risque de défaut, soit 0 % sur les obligations souveraines, 0,1 % environ sur les obligations d’entreprise de notations supérieures ou égales à BBB et 2,2 % sur les notations inférieures.

Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

Les scénarios présentés sont une estimation de la performance future basée sur des historiques dont la valeur de cet investissement varie, et/ou les conditions actuelles du marché et ne sont pas un indicateur exact. Les résultats que vous obtiendrez varieront en fonction de la performance du marché et de la durée de conservation de l'investissement/produit.

Les deux points précédents impliquent aussi une gestion prudente a minima au regard du risque de défaut dans les portefeuilles. Les incertitudes économiques et politiques incitent aussi à permettre une gestion active pour les poches les plus risquées du portefeuille au moins.

Enfin, déterminer une politique ESG ambitieuse. Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance sont au cœur des préoccupations de la société. Ils sont intégrés à la définition même de la mutualité et devenus une dimension majeure pour les sociétés d’assurance. La déferlante réglementaire de ces dernières années les rendus omniprésents : dans les publications d’information avec SFDR, la commercialisation des produits avec IDD et les principes de placements avec l’intégration des risques de durabilité dans la définition de la personne prudente par Solvabilité 2 depuis le 2 août 2022. La probable inclusion de chocs environnementaux dans la formule standard de calcul des exigences en capital va encore renforcer cette dynamique. Plus prosaïquement, le réchauffement climatique est une réalité désormais visible avec un impact direct sur les sociétés d’assurance, qui doivent désormais gérer ces risques aussi au niveau de leurs investissements.

Ces trois préalables étant définis, il nous faut désormais nous appuyer sur des expertises solides et les mettre en œuvre. Car comme nous dit encore Victor Hugo, dans Les Misérables cette fois « Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. »

1Source : Bloomberg

2 Obligations souveraines françaises : J.P. Morgan GBI France Unhedged EUR, Obligations souveraines zone Euro : J.P. Morgan GBI France Unhedged EUR, Obligations d'entreprise IG en Euros : IBOXX Euro Corporates Overall Total Return Index, Obligations d'entreprise HY en Euros : ICE BofA Euro High Yield Index, Actions de la zone Euro : MSCI EMU Net Return Index, Actions globales en Euro : MSCI World AC Net Return Index EUR

3 Données Eurostats

4 https://www.argusdelassurance.com/evenements/assurance-vie-le-rendement-du-fonds-euros-une-hausse-en-trompe-l-il.205822

5 On décompose ici en trois composants, taux, swap spreads et credit spread, le rendement d’un indice obligataire d’obligations d’entreprises de la zone Euro, le ICE BofA Euro Corporate Index. La composante taux correspond au rendement sur obligation souveraine et n’est pas représentée dans le graphique. Le swap spread correspond à l’écart entre le rendement swap et le rendement souverain. Le credit spread correspond à l’écart entre le rendement obligataire crédit et le rendement swap.

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