Solvabilité 2 : les actions, pas le bon combat ?
Le gouvernement et la Fédération française de l’assurance (FFA) font pression sur Bruxelles pour alléger la charge en fonds propres sur les actions. Un combat perdu d’avance, voire qui n’est pas le bon, jugent toutefois certains assureurs...

C’est l’un des chevaux de bataille de l’assurance française depuis au moins dix ans, et le début des discussions sur le nouveau régime prudentiel de Solvabilité 2. Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, la directive européenne impose une charge en fonds propres élevée sur l’investissement en actions : 49 % en moyenne sur le non coté et 39 % pour le coté. Si l’objectif était, dans le sillage de la crise de 2008, d’imposer une gestion financière plus prudente, cette réglementation a fortement pénalisé l’investissement des assureurs dans les actions, estiment les assureurs et les pouvoirs publics français. Selon la direction générale du Trésor, ce sont d’ailleurs près de 50 Md€ investis dans les actions qui, au total, ont disparu des portefeuilles des assureurs français.
Mais l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République a relancé le débat. Pendant la campagne électorale, pour la première fois, un candidat à la présidentielle a en effet osé parler de Solvabilité 2. Son ambition d’alors : que le politique reprenne la main sur ces questions prudentielles afin que la réglementation soit compatible avec l’objectif de financement de l’économie. Une démarche indissociable de celle de la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) qui vise à encourager l’investissement des assureurs dans les entreprises, pour offrir davantage de rendement aux assurés. En mission commandée, Bercy est donc chargé de ferrailler avec Bruxelles. Lionel Corre, sous-directeur des assurances de la direction générale du Trésor, n’a-t-il pas exhorté la Commission européenne, le 27 mars dernier, à « adapter le cadre prudentiel à la nature de l’investissement à long terme des assureurs » et à « agir sur les actions » ?
L’offensive de la FFA
Offensive, la Fédération française de l’assurance (FFA) mène depuis des mois un lobbying actif sur le sujet, espérant profiter de la revue en cours de Solvabilité 2. « Il y a une schizophrénie entre, d’une part, un objectif politique, celui du financement de la croissance en Europe, et d’autre part, des règles prudentielles qui entravent cet objectif », pointait le président de la FFA, Bernard Spitz, lors de sa dernière conférence annuelle. La fédération propose d’abaisser la charge en fonds propres sur les actions à 22 %. « Il faut mettre le sujet sur la table tout de suite, dès 2018 », a déclaré Bernard Spitz.
La fenêtre de tir pour y parvenir est très étroite : Bruxelles attend les résultats d’une étude d’impact pour l’automne prochain. Afin d’être examiné avant les élections au Parlement européen en ma 2019, le texte devrait être présenté par la Commission en octobre ou novembre prochain. Multipliant les rencontres avec ses homologues européens, la FFA espère voir se dessiner un axe franco-italo-allemand permettant de peser dans le débat à Bruxelles. Elle assure également avoir le soutien d’autres pays partenaires, comme le Luxembourg et les Pays-Bas. « Mais attention, prévient un observateur averti, s’assurer du soutien d’autres pays ne veut pas nécessairement dire qu’ils iront au combat avec nous. »
Une première « revoyure » de Solvabilité 2 cette année
Une première clause de « revoyure » prévoit une révision de la directive européenne en 2018. Elle a pour objectif principal de « simplifier » la formule standard du calcul du SCR (capital de solvabilité requis) et d’« améliorer la proportionnalité ». Deux avis techniques de l’Autorité européenne des assurances (EIOPA) ont été publiés à l’intention de Bruxelles. Le deuxième, publié le 28 février dernier, recommande de lever certaines « incohérences techniques » ou d’effectuer des recalibrages. L’un d’entre eux concerne le risque de taux. Dans la mesure où la formule actuelle ne tient pas compte du contexte de taux bas, l’autorité estime nécessaire de revoir ce choc à la hausse. La version revue doit finalement entrer en vigueur en janvier 2019 pour l’exercice clos au 31 décembre.
La France isolée
En réalité, plusieurs assureurs estiment que la bataille est perdue d’avance. « Nous avons fait notre deuil sur les actions, confie ainsi à L’Argus un dirigeant d’un bancassureur. Cela fait dix ans que la France fait du lobbying là-dessus, dix ans qu’elle est seule, et dix ans qu’elle n’est pas entendue. » « Je ne suis pas sûr qu’il y ait une majorité de fédérations en Europe qui soient alignées sur cette position », commentait pour sa part le directeur financier de Groupama, Cyril Roux, lors de la présentation des résultats annuels.
Un point de vue partagé par le superviseur des assurances. « Les 28 États membres de l’UE n’ont pas tous le même point de vue, car il n’existe pas de marché unique de l’assurance. Certains pays disposent de fonds de pension qui sont placés sous le régime de la directive IORP 2, équivalente à Solvabilité 1. Ils n’ont donc pas ce problème », a en effet fait valoir le vice-président de L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) Bernard Delas, devant l’Association nationale des journalistes de l’assurance (Anja). L’Allemagne, en particulier, n’aurait pas d’intérêt à joindre ses forces à celles de la France, d’autant qu’elle a déjà obtenu de Bruxelles des mesures transitoires courant jusqu’en… 2032. « Les assureurs allemands n’ont que 2 à 3 % d’actions dans leur portefeuille d’actifs. Pour eux, le débat n’est pas là. Leur préoccupation est le traitement du risque de taux et la gestion actif / passif », confirme un gestionnaire d’actifs. Enfin, pour Berlin, la question des migrants, plus sensible politiquement Outre-Rhin, est la priorité des priorités parmi les sujets à traiter en Europe. Ce qui risque de remiser les questions économiques et monétaires au second plan.
Haro sur le risque de taux
Surtout, à entendre certains, circonscrire le débat à la question de la charge en fonds propres sur les actions est une erreur. « Ce n’est pas tant Solvabilité 2 que la crise financière elle-même, et la baisse des marchés, qui a conduit les assureurs à réduire leurs placements dans les actions », fait observer un gestionnaire d’actifs. En réduisant le sujet au calibrage des actions, beaucoup redoutent qu’on le regarde par le petit bout de la lorgnette. « Si Solvabilité 2 doit évoluer, il faut se poser des questions plus globales. Sinon on risque de cristalliser les oppositions et d’introduire au contraire plus de complexité ou arriver à un compromis qui ne satisfait personne. Le calcul du ratio de solvabilité est-il homogène ? Rend-il compte réellement du niveau de solvabilité des assureurs européens ? C’est par là qu’il faut rentrer dans le sujet », estime pour sa part Bernard Delas.
À en croire certains, la menace serait même ailleurs. Le dernier avis technique de l’EIOPA (l’Autorité européenne des assurances) propose à Bruxelles de revoir à la hausse le choc de taux, dans la mesure où Solvabilité 2 ne tenait pas compte du contexte actuel de taux bas. Un recalibrage qui doit voir le jour au 1er janvier 2019 et risque de sérieusement impacter les portefeuilles des assureurs, composés en majorité d’obligataire. « Cela pourrait nous coûter plusieurs dizaines de points de solvabilité. L’EIOPA s’est saisie toute seule de cette question et on fait comme si on ne voyait rien. S’il y a une action de lobbying à mener en ce moment, c’est bien celle-ci », s’insurge un bancassureur.
« Le renforcement des exigences sur le choc de taux, cela nous préoccupe bien plus que l’hypothétique succès de la démarche sur les actions. Solvabilité 2 a déjà renforcé considérablement les exigences de fonds propres. Là, nous touchons aux limites du supportable », met en garde le directeur financier d’un grand groupe. Une préoccupation partagée, cette fois, par tous les assureurs en Europe.
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