Bruno Gabellieri (AEIP) : « Sur la retraite, la vraie réponse réside dans les régimes collectifs et professionnels »

Forte d’une quarantaine de membres et présidée pour 2 ans par le Français Michel Dieu, l’AEIP (Association européenne des institutions paritaires de protection sociale) défend depuis 1996 à Bruxelles les vertus du modèle paritaire. Un vrai combat au sein d’une Europe aussi encline à l’individualisme sur le terrain de la protection sociale déplore son secrétaire général.

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Bruno Gabellieri (AEIP) : « Sur la retraite, la vraie réponse réside dans les régimes collectifs et professionnels »
Bruno Gabellieri, Secrétaire général de l’Association européenne des institutions paritaires de protection sociale (AEIP).

Argus de l'Assurance : Quels sont aujourd’hui les dossiers d’actualité pour l’AEIP ?

Bruno Gabellieri (AEIP) : L’un de nos principaux sujets est le Pepp, le Produit paneuropéen de pension personnel. Ce produit est défendu par la Commission européenne et le régulateur européen, l’Eiopa, comme troisième pilier du système de retraite à la suite de l’échec de l’ambitieux projet d’une retraite professionnelle – deuxième pilier – de dimension transnationale. Ce produit individuel se veut souple, fl exible, transférable à tout moment, et accessible par Internet. Il pourrait être proposé par tous les opérateurs – assureurs, banquiers, gestionnaires d’actifs – dès sa transposition dans chaque bloc législatif. Sur le papier, le concept est formidable, il pourrait laisser penser à la constitution d’une Europe des retraites. Mais tous les représentants des consommateurs au sein de l’Eiopa ont critiqué ce projet. Les jeunes à qui s’adresse théoriquement le Pepp n’ont ni la capacité d’épargne ni l’éducation fi nancière nécessaire, et personne n’est capable de faire la démonstration de faibles coûts de gestion. Bruxelles voudrait faire croire que le Pepp est la panacée, mais c’est un leurre.

Quand le projet doit-il aboutir ?

Le texte qui fait actuellement l’objet de discussions entre la Commission et l’Eiopa doit normalement voir le jour l’année prochaine. Mais en fait, il ne devrait rien se passer avant les élections européennes de mai 2019 et la mise en place d’une nouvelle Commission.

Si le Pepp n’est pas la panacée, demeure toutefois un problème de fi nancement des retraites…

L’AEIP a pleinement conscience que la soutenabilité des pensions n’est pas assurée. Notamment parce que la croissance économique ne compense pas la baisse de rendement des régimes de base. Le danger pour les jeunes est réel. La prise de conscience est positive, mais la solution proposée n’est pas la bonne. La vraie réponse réside dans des régimes collectifs basés sur des accords professionnels. Malheureusement aucun des États ne prend ce chemin. L’individualisme fi nancier prime sur le collectif.

Êtes-vous aussi critique sur le volet épargne retraite du projet de loi Pacte ?

Il y a une prise de conscience de la nécessité de renforcer l’épargne des Français en vue de leur retraite. Et l’on sait que l’économie a un besoin d’épargne longue. Bref, l’enjeu est réel en termes de stabilité économique et sociale. Mais, vu de Bruxelles, on ne peut que déplorer un manque d’ambition du projet de loi Pacte, avec une vision très individuelle. Là, comme pour le Pepp, les lobbies sont à la manoeuvre – gestionnaires d’actifs, banquiers, assureurs – afi n d’augmenter leurs parts de marché.

Son parcours

Bruno Gabellieri, docteur d’État en droit, a mené toute sa carrière au sein d’organismes de protection sociale paritaires. Il a enseigné le droit de la protection sociale et le droit européen à l’Institut des assurances de Paris et à l’université de Montpellier. Il exerce depuis 2007 un mandat d’expert auprès du régulateur européen.

  • 1990 Secrétaire général adjoint puis secrétaire général du groupe Apri
  • 1996 Secrétaire général de l’Association européenne des institutions de protection sociale paritaires (AEIP)
  • 2004 Directeur du cabinet et des relations extérieures du groupe Aprionis
  • 2012 Directeur du secrétariat général du groupe Humanis
  • 2013 Directeur des relations extérieures et des affaires européennes du groupe Humanis
  • 2018 Nouveau mandat à l’Occupational Pensions Stakeholder Group de l’Eiopa

Les fonds de pension relèvent de la directive IORP alors que les produits de retraite des sociétés d’assurance sont sous le régime Solvabilité 2. Est-ce que la révision en cours de Solvabilité 2 peut mettre fi n à cette dichotomie ?

La dichotomie demeure, en effet. L’AEIP a toujours défendu l’exclusion des fonds de pension du champ de Solvabilité 2 et les assureurs aimeraient bien sortir leur activité retrai te de Solvabilité 2. Mais ce n’est pas la révision de Solvabilité 2 qui devrait permettre d’ouvrir ce chantier jusque-là, même si elle doit conduire à un assouplissement des règles financières pour les placements vie. Nous plaidons avec le CTip pour desserrer la contrainte sur les actions. L’Europe est allée trop loin ; augmenter les exigences de constitution de fonds propres sans permettre leur rémunération optimale revient à se tirer une balle dans le pied.

Mais avec Solvabilité 2, l’objectif est de mieux protéger les consommateurs…

C’est bien là le sujet fondamental : assurer une réelle protection des consommateurs. Il est important de prendre en compte l’intérêt des futurs retraités, en termes de revalorisation des pensions, mais également de se soucier des jeunes. Il faut remettre une culture de l’équilibre des risques au coeur de l’action de l’Eiopa. La défense des consommateurs est inscrite dans les statuts du régulateur et la part croissante des représentants des consommateurs – dont l’AEIP – dans les stakeholders groups [NDLR : représentants des parties prenantes] de l’Eiopa est un bon signe.

La directive sur la distribution d’assurances va-t-elle dans le bon sens ?

Les institutions paritaires sont par essence gouvernées par les assurés et les employeurs, et nous ne sommes pas forcément très heureux de l’avalanche de réglementations. Mais nous sommes convaincus que le consommateur n’est jamais assez protégé. Au regard des enjeux financiers, d’assurance et de pension, il est important que la clarté et la transparence règnent dans les contrats. Le secteur a été marqué par une série de scandales – comme les « miscelling » en Grande Bretagne – et de pratiques opaques. Alors certes, la France est plutôt en avance sur la notice d’information, mais certains pays étaient jusque-là dépourvus de toute réglementation.

Le paritarisme est remis en cause. Est-ce que ce mode de gouvernance est menacé ?

Le paritarisme souffre de nombreuses attaques. Pour des raisons externes, dans la mesure où certains acteurs ont intérêt à sa perte d’influence afin d’augmenter leurs parts de marché. Mais également pour des raisons internes, car le paritarisme a perdu certaines occasions de se réformer. Le benchmark des bonnes pratiques paritaires doit nous permettre de progresser, et de maintenir cet équilibre majeur entre entreprises, salariés et assurés. Les motifs d’espérance sont réels : contrairement à ce que pensent les Européens, le paritarisme est universellement répandu, dans tout le continent américain, en Australie, en Nouvelle-Zélande… Dans le secteur du bâtiment, les systèmes de protection sociale sont paritaires dans presque tous les pays du monde. Les Chinois comme les Indiens nous sollicitent régulièrement sur l’intérêt des couvertures collectives et les valeurs de solidarité qui les sous-tendent.

Comment l’AEIP réagit-elle à la décision rendue par le Comité européen des droits sociaux cet été sur les clauses de désignation ?

Dans une jurisprudence constante depuis 1996, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a validé les clauses de désignation dans tous les pays, que ce soit la France, l’Allemagne, le Luxembourg ou encore les Pays-Bas. En 2014, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sans juger bon d’interroger la CJUE, ce que nous regrettons. À la suite de la décision favorable du Comité européen des droits sociaux, on peut espérer que la CJUE rende un jour une décision identique à celle du Comité européen des droits sociaux (CEDS), en ayant été saisie en amont par la France sur les mêmes bases que celles qui ont amené la décision du Comité européen. Nous savons d’expérience que les clauses de désignation constituent la meilleure réponse pour réduire les coûts de gestion, faire en sorte que la solidarité ne soit pas une vertu vide de sens et que les bénéficiaires soient les premiers servis.

Comment percevez-vous l’impact du départ des Britanniques de l’Union européenne ?

Le Brexit va profondément rebattre les cartes. Les Britanniques constituent la seconde puissance de lobbying à Bruxelles après les Étatsuniens. Ils sont très puissants au sein de PensionsEurope, qui regroupe les associations nationales de fonds de pension. Le Royaume- Uni représente quelque deux cinquièmes des fonds de pension sur le Vieux continent et, avec son départ, PensionsEurope risque de perdre un tiers de son budget. Dans le même temps, les fonds de pensions continentaux, qui ont fait de Londres une place d’investissement privilégiée, sont en train de revoir leur position : l’un des plus importants fonds de pension a décidé de quitter la City avec plus de 10 Md€ d’actifs…

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