Nathalie Berger (Commission européenne) : « Il faut que les autorités de supervision nationales prennent leurs responsabilités ! »
Sa parole est rare. Pour L’Argus de l’assurance, Nathalie Berger décrypte les ambitions du législateur européen pour le secteur. Deux ans après l’entrée en vigueur de la directive Solvabilité 2, le chantier réglementaire se poursuit. En ligne de mire : la protection du consommateur.
? Propos recueillis par Aurélie Abadie

La Commission européenne a lancé un chantier de révision des agences de supervision financières (ESAs).
En quoi le rôle de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) va-t-il être renforcé ?
L’objectif est d’instaurer une plus grande convergence dans la supervision des assurances. Nous avons donc proposé de donner plus de pouvoir à l’EIOPA en ce qui concerne l’approbation des modèles internes. Élaborés par les assureurs, ces derniers leur donnent plus de marges de manœuvre que la formule standard de Solvabilité 2. Aujourd’hui, les modèles internes sont soumis à l’approbation des autorités de supervision nationales. Or, elles n’appliquent pas toutes la même approche dans les 28 États membres, donc nous considérons que cela serait favorable à tous, aux superviseurs, aux assureurs et surtout aux assurés, que l’EIOPA joue un rôle plus important en la matière.
Vous parlez de convergence. L’EIOPA pourra-t-elle jouer un rôle en matière de surveillance des assureurs opérant en libre prestation de services (LPS) ? La faillite d’un acteur de l’assurance construction basé à Gibraltar, opérant en France en LPS, a récemment attiré l’attention sur ce sujet...
Si un assureur européen intervenant dans un autre État membre fait défaillance, l’EIOPA a la possibilité d’intervenir en coordination avec les autorités nationales et l’a déjà fait. Cette action peut être de nature discrète, mais souvent très efficace. La simple publication d’un communiqué de presse suffit souvent au rappel à l’ordre et à l’adoption des mesures nécessaires. Dans les premières années suivant sa création, l’activité de l’EIOPA a été tournée vers la réglementation. Désormais, elle va se concentrer sur la coordination de la supervision. Lorsque des assureurs ont construit des business models uniquement basés sur l’utilisation des libertés du marché unique, l’EIOPA a un rôle à jouer. Mais il faut aussi que les autorités de supervision nationales prennent leurs responsabilités !
SON PARCOURS
Diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) de Strasbourg, Nathalie Berger est également titulaire d’un DEA en droit communautaire et d’un doctorat en droit public de l’université de Strasbourg.
- 2000-2002 Administratrice, responsable du développement des compétences d’exécution de la Commission européenne dans le domaine des services financiers.
- 2002-2004 Membre de la task force sur le futur de l’Union européenne.
- 2004-2007 Administratrice, droit des sociétés et gouvernance d’entreprise.
- 2007-2012 Cheffe d’unité adjointe, affaires interinstitutionnelles.
- 2012-2015 Cheffe d’unité audit et agences de notation.
- Depuis 2015 Cheffe d’unitéassurances et pensions professionnelles.
Les assureurs ont renouvelé leurs engagements en faveur du climat, lors du One Planet Summit à Paris. Bruxelles a annoncé l’élaboration d’un plan d’action pour encourager les investissements verts. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’UE a mis en place un groupe d’experts de haut niveau qui est en train de finaliser ses recommandations. Sur cette base, un plan d’action sera présenté au premier trimestre 2018. Le vice-président de la Commission européenne a déjà annoncé le lancement d’une initiative législative, probablement pour le deuxième trimestre, afin d’encourager les intermédiaires financiers à tenir les investisseurs dûment informés des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les produits financiers proposés. En ce qui concerne les assureurs, qui sont des investisseurs de long terme, nous avons déjà un modèle existant dans la législation : la directive IORP 2 comporte l’obligation de tenir compte de ces critères dans le management des risques et le reporting, notre proposition concernant le produit de pension paneuropéen, le PEPP (Pan-european personal pension product), en tient également compte. Solvabilité 2 impose une calibration de la charge en fonds propres pour les différentes classes d’actifs dans lesquelles les assureurs investissent. Par ce biais prudentiel, par exemple, nous pourrions inciter les assureurs à investir davantage dans des actifs qualifiés de « verts » ou de « durables ». Encore faut-il que nous disposions d’une définition de ces actifs. C’est sur cet énorme chantier que nous travaillons.
La France appelle à retravailler le projet de produit de pension paneuropéen (PEPP), notamment en matière de conseil et de distribution. Comprenez-vous ses réserves ?
Je rappelle que la France nous soutient, aussi bien les autorités, que les fédérations représentant les assureurs et les autres distributeurs potentiels de PEPP. Nous avons lancé ce projet pour répondre à l’insuffisance des systèmes de retraite publics et privés dans l’UE et bénéficions du soutien des associations de défense des consommateurs. Ce projet paneuropéen permettra aux citoyens de l’UE d’emporter, en cas de mobilité, leur produit de pension avec eux. Aujourd’hui, cela se révèle compliqué.
Toutefois, cette initiative ne s’adresse pas uniquement aux citoyens exerçant leur mobilité, mais à tous les citoyens de l’UE. Nous avons fait une proposition et restons ouverts, comme toujours, à des améliorations. Nous avons fait le choix de proposer cinq options d’investissement, car le PEPP doit rester un produit simple. L’obligation de conseil ne peut être levée que dans un seul cas : lorsque l’épargnant choisit l’option d’investissement par défaut. Cette option comporte une protection du capital, c’est pourquoi nous l’autorisons à la vente sans conseil sur Internet. Notre but est de nous adresser aux jeunes générations qui préparent leur future retraite, donc il faut faciliter l’accès de cette population à ce produit en proposant de le souscrire en ligne. Nous avons renversé la règle : le PEPP est d’abord distribué par les moyens électroniques, et pour ceux qui le souhaitent, une version papier de la documentation est disponible sans frais. Par ailleurs, nous avons laissé à l’entité qui fournit le PEPP le choix de l’offre commerciale : il peut proposer à l’épargnant de sortir en capital ou en rente, ou de procéder à des retraits progressifs. Si un État membre souhaite privilégier l’une de ces options de sortie, il lui appartient de prendre les mesures fiscales incitatives appropriées. Nous avons adopté une recommandation en ce sens, les États membres restent libres de leur politique fiscale. La France choisira donc le traitement fiscal qui lui semble le plus opportun pour ce PEPP.
La France s’est dotée d’un régime de résolution des assurances, tout comme la Roumanie, et les Pays-Bas sont en passe de le faire. À quand un cadre européen de résolution ?
C’est un sujet très complexe. On a tendance à comparer la résolution bancaire avec celle des assurances, mais il faut être prudent avec cette analogie. La situation n’était pas du tout la même pendant la crise financière. Les faillites bancaires ont montré que disposer d’une résolution rapide et efficace était indispensable. L’Union européenne a donc créé ce mécanisme dans le cadre de l’Union bancaire. En revanche, on n’a pas observé de faillites d’assureurs systémiques risquant de mettre à mal l’économie européenne, donc le degré d’urgence est moindre. Il faut mettre en place une réponse proportionnée dans le domaine des assurances. L’EIOPA et le groupe consultatif actuariel européen (Esap) ont publié des premières pistes de réflexion concernant le rétablissement des sociétés d’assurance, mais doivent poursuivre leurs travaux sur les systèmes de garantie des assurances. La Commission européenne attend que ces travaux soient complets avant de se prononcer sur l’opportunité de recourir à ces mesures.
L’activité de l’EIOPA a été tournée vers la réglementation. Désormais, elle va se concentrer sur la coordination de la supervision.
Alors que la directive Solvabilité 2 impose aux assureurs de renforcer leurs fonds propres afin d’éviter, précisément, le risque de faillite, est-ce pertinent ?
Tout dépend du but affiché. Lorsqu’on envisage de mettre en place une action au niveau européen sur la résolution des assurances, il existe une gradation de mesures envisageables, sans aller nécessairement jusqu’à la création d’un système européen de résolution. Un premier pas pourrait, par exemple, consister à inciter les États membres à se doter de mécanismes de résolution des assurances, un deuxième pas à leur fournir des règles harmonisées guidant leur action en la matière.
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