« Solvabilité 2 et Bâle 3 sont deux gigantesques bêtises »

L'économiste, rattaché à Natixis et qui produit aussi des études pour la CNP, revient sur le projet de réforme de la fiscalité du patrimoine. Il dénonce aussi le non-sens que constitue l'incitation du régulateur à investir davantage en obligations qu'en actions.
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« Solvabilité 2 et Bâle 3 sont deux gigantesques bêtises »
Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis

Que pensez-vous de la hausse de la taxation sur les héritages annoncée dans la réforme sur la fiscalité du patrimoine ?

C'est une très bonne idée, et c'est quelque chose que les économistes disent depuis longtemps, à savoir que la logique est de baisser la taxation des revenus du travail et de taxer davantage les revenus « immérités ». Parmi ces derniers, il y a une partie des héritages et des plus-values en capital. D'ailleurs, on sait aussi que c'est lors de la transmission que se fabriquent les inégalités.

Que vous inspire la suppression du bouclier fiscal ?

Là, le débat est plus compliqué et moins consensuel parmi les économistes. À savoir : faut-il taxer le capital en tant que tel ou bien les revenus qu'on en tire ? Si vous taxez le capital, c'est indépendamment de son rendement, et vous taxez donc de la même manière des formes de capital qui ont des taux de rendement très différents. En outre, il me semble que l'on aboutit à une sorte de double taxation : on taxerait le revenu épargné qui fabrique le capital, plus le stock de capital ainsi formé. Si vous ne taxez que les revenus du capital, vous avez une certaine neutralité. C'est d'ailleurs ce que Reagan avait fait dans les années 1980, en faisant payer un taux d'impôt unique sur l'ensemble des formes de revenus. Je crois qu'une fiscalité moderne est une fiscalité où l'on fait une addition de tous les revenus - il n'y aurait donc pas de niches, ni d'exemption -, qui seraient taxés à un taux raisonnable, ce qui ne découragerait pas l'investissement en capital, et permettrait de taxer moins le travail et de créer des emplois, tout en accroissant le rendement de l'impôt.

Qu'est-ce qui empêcherait ce système fiscal que vous appelez de vos voeux ?

Le fait que cela heurterait beaucoup d'intérêts. Les assureurs, par exemple, n'aimeraient pas que l'on fiscalise l'assurance vie comme les autres produits. Du coup, nous disposons d'une fiscalité incroyablement bizarre, où certaines formes de revenus du capital sont très peu taxées et où les revenus du travail le sont énormément. Pour en sortir, il faut être capable de faire le saut, qui consiste à dire que très peu de formes de capital méritent que leurs revenus ne soient pas taxés normalement. Dans le cas de l'assurance vie, on a défiscalisé largement les revenus d'une forme de capital essentiellement investie en titres de l'État français, qui sont eux-mêmes émis pour financer la défiscalisation !

Que conseillez-vous aux assureurs dans le contexte inflationniste actuel ?

Ils devraient réduire la taille de leur portefeuille obligataire traditionnel et augmenter celle de leur portefeuille d'actifs, qui apportent de la couverture contre l'inflation, comme l'immobilier, les émergents, les matières premières, ou les obligations indexées sur l'inflation. Le souci est que Solvabilité 2 pousse à faire exactement l'inverse. On observe là le caractère totalement déraisonnable du régulateur, qui met en place une très forte incitation réglementaire à acheter des obligations publiques nominales, au détriment de tous les actifs qui pourraient apporter de la couverture anti-inflationniste. Il est tout de même regrettable que le régulateur n'y ait pas pensé, mais, comme on le sait, il est toujours en train de protéger contre la crise d'avant. Or, la crise d'après, pour les assureurs, tiendra au fait qu'ils vont être forcés d'accroître leur détention d'obligations, dont le rendement va faiblir à cause de la remontée des taux.

Il n'y a pas d'alternative ?

Ne mettons pas tout sur le dos du régulateur : la taille des portefeuilles obligataires des assureurs génère aussi de l'inertie, les empêchant de s'en débarrasser. Nous sortons de vingt-cinq ans de rendements élevés des obligations, dus à la baisse des taux d'intérêt. Les assureurs se sont donc surexposés aux obligations. Leur bilan est calibré sur une situation de désinflation, et pas de relance de l'inflation. Il va donc falloir qu'ils se posent la question d'un changement radical de la structure de leurs portefeuilles.

Le moindre rendement de l'assurance vie va-t-il faire le jeu des banquiers ?

La question est de savoir à quel moment les assurés considéreront que le rendement de leur contrat devient trop bas par rapport aux actifs concurrents. D'autant plus que les dépôts à terme sont une des manières de satisfaire aux critères de liquidités de Bâle 3. Et puis, 2% sur un dépôt à vue, c'est tout de même bien par rapport à 3,2%, moins la CSG et la CRDS, sur un support qu'il faut garder huit ans ! Il y a là une menace pour l'assurance vie, qui ne se réalisera pas si les taux d'intérêt remontent doucement, mais qui interviendra s'ils remontent trop vite.

Le pire de la crise est-il devant nous ?

Le taux d'endettement des ménages s'est peu réduit, et les prix de l'immobilier ont beaucoup baissé. Relativement à leur richesse immobilière, les ménages sont plus endettés aujourd'hui qu'au début de 2008. Jusqu'à maintenant, cela a tenu, parce que nous étions dans un environnement de taux d'intérêt extrêmement bas, les ménages bénéficiant donc de taux d'intérêt bas sur leurs dettes. S'ils remontent, les taux d'endettement étant toujours très élevés, on risque de retomber dans la situation d'insolvabilité des ménages de 2008. Ceux qui disent que la crise est finie ont tort. Quand on a une bulle d'endettement, on ne peut pas l'avoir nettoyée en deux ou trois ans. Nous sommes en pleine « gueule de bois de la dette », debt overhang comme disent les Anglais. On traîne encore un stock de dette qui écrase l'économie, et c'est aussi bien de la dette privée que de la dette publique.

Le régulateur ralentit-il la sortie de crise ?

Solvabilité 2 empêche d'injecter des fonds propres dans les entreprises, et Bâle 3 va rendre très cher le financement à long terme de l'économie, dans un environnement de taux d'endettement qui reste très élevé. Je pense que ce sont deux gigantesques bêtises ! C'est ignorer nos problèmes économiques, qui demandent de financer l'économie sur le long terme en fonds propres. Au lieu de cela, ces régulations vont forcer l'économie à être financée à court terme en crédit.

SON PARCOURS :

Patrick Artus, 60 ans, est diplômé de Polytechynique, de l'IEP de Paris et de l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae).

1980 : Il entre au département économie de l'OCDE.

1982-1985 : Directeur des études de l'Ensae.

1985-1988 : Conseiller scientifique à la direction générale des études de la Banque de France.

Actuellement : Directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, professeur à l'École polytechnique et à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, membre du Cercle des économistes et du Conseil d'analyse économique (CAE).

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