Droit des contrats : les nouvelles clauses illicites sont arrivées

En élargissant la prohibition des clauses déséquilibrées dans les contrats, la réforme du droit des obligations doit inciter les assureurs à renouveler leur regard sur leurs pratiques contractuelles.

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Droit des contrats : les nouvelles clauses illicites sont arrivées

Par Romain Bruillard, Avocat chez PHPG

La réforme du droit des contrats, en vigueur depuis le 1er octo­bre 2016, rend illicite deux nouvelles clauses, réputées « non-écrites ». La première prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur. Il s’agit de la consécration de la jurisprudence « Chronopost », en matière de clause élusive ou limitative de responsabilité (code civil, nouvel arti­cle 1170). Cet article vise à supprimer les clauses qui, en raison de leur objet ou de leur étendue, retirent son effet contraignant à l’obligation. L’inexécution par le débiteur ne serait alors plus sanctionnée. Il s’agit, par exemple, des clauses limitatives de responsabilité comportant un plafond très bas.

Plus encore, par sa formulation, ­l’article 1170 va s’appliquer à tout type de stipulations qui ôterait à une obligation sa force obligatoire. Ainsi, certaines clauses d’arbitrage pourraient être considérées comme privant de sa substance l’obligation essentielle de son débiteur. En effet, en raison du coût éventuellement disproportionné d’une procédure d’arbitrage, l’inexécution du débiteur ne pourrait plus être sanctionnée, le créancier n’ayant pas les moyens de diligenter une telle procédure.

Les conditions de garantie menacées

En matière d’assurance, les clauses d’exclusion de garantie ne seront, a priori, pas concernées par ce dispositif dès lors que le code des assurances comporte un mécanisme semblable permettant de réputer non-écrites les clauses qui ne sont pas formelles ou limitées. Pour autant, les polices d’assurance ne devraient pas échapper à un encadrement en application de ­l’article 1170 du code civil. En effet, les conditions de garantie ne font l’objet que d’un contrôle assez léger par les juridictions et pourraient, lorsque leur domaine est trop étendu, être considérées comme privant de sa substance l’obligation essen­tielle du débiteur, autrement dit l’obligation de garantir de l’assureur. L’article 1170 pourrait donc constituer un nouveau mécanisme permettant de sanctionner les conditions de garantie dont le champ d’application est trop large, ce qui revient à vider la garantie de sa substance.

Le contrat d’assurance d’adhésion

Seconde clause illicite, le législateur a introduit dans le droit commun la prohi­bition des clauses abusives qui existaient déjà en droit de la consommation ou en droit de la concurrence. Cette prohibition fait désormais l’objet de l’article 1171 du code civil et est restreinte aux seuls contrats d’adhésion. La qualification de contrat d’adhésion revêt donc une importance déterminante. Il est défini à l’article 1110 comme le contrat « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Les critères de cette ­définition restent cependant relativement flous. Quand l’article 1110 évoque les conditions générales, est-ce que cela signifie qu’il est nécessaire pour qu’une convention soit qualifiée de contrat d’adhésion qu’elle comporte expressément un document intitulé conditions générales ? Une telle approche ne semble pas pertinente, car elle exclurait de cette qualification quantité de conventions qui ne sont pas négociées sans toutefois comporter de conditions générales. L’important dans cette définition est l’absence de négociation, quel que soit l’intitulé de la convention ou des documents contractuels qui la composent.

Une autre difficulté est de savoir ce que l’article 1110 entend par « soustraites à la négociation ». Dès lors qu’une clause des conditions générales a été négociée, le contrat échappe-t-il à la qualification de contrat d’adhésion ? Ou au contraire, faut-il que chacune des clauses ait fait l’objet d’une discussion entre les parties ? En pratique, les conditions générales ne sont que rarement modifiées lors de la conclusion d’un contrat. Les dérogations qui sont négociées ­figurent, en effet, uniquement dans les conditions particulières. Ainsi, si on adopte une appro­che très formaliste, les conditions générales ne sont ­jamais négociées, seules le sont les conditions particulières, de sorte que la seule existence de conditions générales pourrait suffi­re à retenir la qualification de contrat d’adhésion. Quelles que soient les interprétations, il est certain que de nombreuses polices d’assurance vont être qualifiées de contrat d’adhésion. De même, les conditions générales des entreprises figurant au verso de leur offre ou de leur facture vont, la plupart du temps, recevoir cette qualification. Ainsi, on ne peut que conseiller aux assureurs, ou à tout contractant qui souhaiterait que les clauses figurant dans ses conditions générales ne soient pas qualifiées de clause abusive de conserver les échanges précontractuels afin de se préconstituer la preuve de l’existence d’une négociation. De même, il pourrait être oppor­tun de ne plus conserver un découpage entre les conditions générales et les conditions particulières au profit d’un unique écrit.

à retenir

Le code civil s’est doté de nouvelles dispositions à même de faire évoluer l’interprétation par le juge des clauses déséquilibrées dans les contrats, synonyme alors de leur inapplicabilité. Ces dispositions sanctionnent une clause qui viderait l’obligation d’un des contractants ou une clause abusive.

Par ailleurs, l’article 1171 prohibe les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, c’est-à-dire celles qui procurent un avantage disproportionné au profit d’une partie sans qu’il existe une contrepartie. Dans les contrats d’adhésion, la validité d’une clause procurant une prérogative ou un bénéfice important à une partie est donc subordonnée à la preuve qu’elle a consentie à son cocontractant un avantage en contrepartie. Le ­domaine de cette prohibition peut être très étendu et pourrait permettre au juge de se livrer à une relecture des contrats, au mépris de leur force obligatoire. Cela pourrait concerner les clauses élusives ou limitatives de responsabilité, celles restreignant les modes de preuve ou imposant un délai pour former une réclamation…

Interaction avec le code de la consommation

Les incertitudes liées au champ d’appli­cation de cette prohibition sont accentuées par le rapport remis au président de la République sur la réforme indique que : « Les critères d’appréciation du déséquilibre sont déjà connus puisqu’ils sont inspirés de ceux fixés dans le code de la consommation. » Or, si l’intention du législateur est de reprendre les solutions rendues en application du code de la consommation, se pose la question de l’impact des listes noires et grises du code de la consommation qui réputent abusives certaines clauses. Parmi ces clauses, figurent celles qui ont pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ». Ainsi, si le juge ­reprend les critères dégagés en droit de la consommation, cela aboutirait à la suppression de la totalité des clauses limitatives et de non-responsabilité figurant dans les contrats d’adhésion, sauf à démontrer, au cas par cas, que cette clause est contrebalancée par un avantage particulier.

Exclusion et prime sont sauves

Enfin, il faut rappeler que l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. Ainsi, en matière d’assurance, la prohibition des clauses abusives ne concernera pas les clauses d’exclusion de garantie ou celles fixant le montant de la prime. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne en retenant que le contrôle du caractère abusif d’une clause ne saurait porter sur l’objet principal du contrat ou son prix de sorte que « dans le cas de contrats d’assurance, les clauses qui définissent ou délimitent clairement le risque assuré et l’engagement de l’assureur ne font pas l’objet d’une telle appréciation dès lors que ces limi­tations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur » (CJUE, 23 avril 2015, C-96/14, H. c/CNP Assurances). Une telle solution ne signifie pas que les polices d’assurance ne pourraient ­jamais être concernées par la prohi­bition des clauses abusives mais que celles-ci ne porteront que sur des clauses accessoires de la police. Par exemple, la Cour de cassation a décidé qu’était abusive la clause qui imposait à l’assuré de prouver que son état ­alcoolique était sans lien avec l’accident « alors qu’en vertu du droit ­commun, il appartiendrait à l’assureur d’établir que l’accident était en relation avec l’état alcoolique du conducteur » (Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 14-24.698). Cette nouvelle prohibition des clauses illicites risque donc de générer un important contentieux dont les solutions seront difficilement prévisibles.

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