L’expertise judiciaire, une étape à ne pas négliger
L’expertise judiciaire permet d’apporter un éclairage technique dans le cadre d’un litige. Si le juge n’est juridiquement pas lié par les conclusions de l’expert désigné, l’expertise s’avère en réalité déterminante pour l’issue de la procédure.

Utilisateur d’une machine-outil affectée d’un défaut, acquéreur d’une chambre froide insuffisamment performante, ou encore exploitant victime d’un incendie ayant ravagé son outil de production, tout sinistré souhaite obtenir, et dans les meilleurs délais, l’indemnisation du préjudice qu’il a subi (perte d’exploitation, de marchandises ou encore préjudice de jouissance). À défaut d’accord entre les parties, il n’est cependant pas envisageable de déterminer à qui incombera la réparation sans avoir, au préalable, obtenu un rapport d’expertise judiciaire contradictoire et opposable. La Cour de cassation exclut, en effet, que le juge puisse se fonder exclusivement sur les termes d’un rapport amiable sollicité par l’une des parties, même s’il a été soumis à la libre discussion (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710).
Une étape déterminante
Il est donc difficile pour le demandeur – sur qui repose la charge de la preuve – de faire l’impasse sur l’expertise judiciaire qui, en principe, apportera au juge la lumière sur les aspects techniques du dossier. Si l’article 246 du code de procédure civile précise que le juge n’est pas lié par l’avis de l’expert, il prend rarement le risque de s’en écarter et ne fera qu’exceptionnellement droit à une demande de contre-expertise. L’expertise constitue donc une phase cruciale, au cours de laquelle se joue pour partie l’issue du procès.
La partie débute dès la signification de la demande de référé expertise. Les défendeurs ont, en effet, la faculté de s’opposer à la demande d’expertise, si celle-ci est dépourvue du motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile ou de toute utilité. À ce stade, il est toutefois rare d’obtenir le rejet d’une telle demande, ou une mise hors de cause, sauf à démontrer que la prestation du défendeur est totalement étrangère au litige. Avant de statuer, le juge entend obtenir un éclairage technique et privilégie souvent la présence de toutes les parties intervenues. Ne fût-ce que pour obtenir de certaines d’entre elles des explications utiles à la compréhension du litige ou des pièces indispensables à l’émergence d’une solution technique.
Le pouvoir des parties
Si l’expertise peut apparaître comme une fatalité, les parties ont toutefois la faculté d’influer sur les contours de la mission. Outre les traditionnelles « protestations et réserves » quant à leur éventuelle responsabilité, elles peuvent demander au juge de circonscrire la mission de l’expert à certains types de désordres ou proposer une modification de la mission dite « type » ordonnée par le juge. Un fournisseur peut ainsi avoir un intérêt à ce que la mission permette de déterminer si les désordres existaient à la date de la vente du matériel.
Les parties ont également la possibilité, régulièrement appréciée des magistrats, de suggérer à la juridiction la spécialité exacte dont l’expert doit relever, voire de proposer la désignation d’un expert en particulier. Ceci suppose, par exemple, de s’être préalablement interrogé sur le point de savoir si, dans les circonstances d’un sinistre incendie survenu dans un système de climatisation, il est préférable de voir désigner un expert incendie, un expert en génie climatique ou un expert en électricité. Une fois l’expert désigné, il est essentiel d’analyser le dossier, dès avant la première réunion d’expertise, en constituant une équipe regroupant idéalement les opérationnels en charge du suivi du dossier, un expert-conseil (expert d’assurance ou non), un représentant de la société défenderesse et l’avocat en charge de la défense des intérêts de cette dernière. Il ne faut pas attendre l’issue de cette première réunion pour mener une réflexion sur les enjeux et les risques de l’affaire, et réunir l’ensemble des pièces du dossier (pièces contractuelles, factures, courriers, notice technique, fiche produit…).
Par ailleurs, il importe d’analyser quelles peuvent être les causes des désordres et les moyens d’y remédier. Déterminer une cause extérieure à sa propre intervention peut, en effet, conduire à écarter purement et simplement sa responsabilité. À défaut, mettre en évidence la cause du sinistre sans délai permet de limiter le coût lié à des investigations trop longues et de proposer sans attendre des solutions réparatoires. Avec l’accord des parties et éventuellement sous le contrôle de l’expert, le responsable peut procéder lui-même aux réparations et limiter tant la charge financière liée aux travaux que le préjudice subi, par exemple, à la suite d’un arrêt de production. Cette stratégie doit être déterminée avant le début des opérations d’expertise.
Le principe contradictoire
L’objet de l’expertise sera limité aux désordres qui sont visés dans la décision l’ayant ordonnée. L’expertise ne saurait donner lieu à un audit complet des prestations réalisées par chacun des intervenants. Il n’est toutefois pas rare de devoir rappeler à l’expert et au demandeur le périmètre de la mission. Si ce dernier souhaite voir le champ de la mission étendu à d’autres désordres, il doit solliciter auprès du juge une extension de mission.
Par ailleurs, le rapport d’expertise est opposable aux seules parties présentes à la procédure. Ainsi, s’il apparaît durant l’expertise que d’autres parties ont contribué à l’apparition des désordres, comme un sous-traitant ou un fabricant, elles doivent être mises en cause sans attendre le dépôt du rapport définitif. À défaut, aucune condamnation ne pourra être sollicitée à leur encontre sur la base du rapport d’expertise. En outre, il faut constamment veiller à ce que les désordres soient constatés contradictoirement. La réalité des désordres est trop souvent considérée comme acquise par l’expert judiciaire, alors que leur constatation par ce dernier constitue le préalable obligatoire à toute recherche de cause et de responsabilité. À défaut, l’existence même des désordres peut être contestée.
Si les désordres sont avérés et ont été constatés, l’expert doit en déterminer les causes. Celui-ci sera plus ou moins ouvert à une réflexion collective, laquelle peut pourtant s’avérer fructueuse, notamment lorsque la problématique soumise relève de plusieurs spécialités. La vigilance commande toutefois de s’abstenir d’évoquer, en présence d’un expert en quête de causes possibles des désordres, tout élément qui pourrait être source de responsabilité. L’équipe constituée par le défendeur devra privilégier une approche subtile, doser les informations à divulguer et parfois étouffer une certaine spontanéité pour attendre le moment opportun pour communiquer tel document.
Enfin, la rédaction de dires à expert par les parties permet d’argumenter une position. Ces « dires » sont également l’occasion ultime de contester les termes du projet de rapport d’expertise, avant le dépôt du rapport définitif. Si l’expert considère les contestations émises justifiées, il n’est pas rare qu’il procède à une modification de ses conclusions. Si la contestation soulevée n’est pas entendue, une contre-expertise peut être sollicitée devant le juge du fond, lorsqu’il aura été saisi du litige. Mais les conditions sont très restrictives et les hypothèses de nullité peu nombreuses. L’expertise judiciaire se jouant ainsi bien souvent en une seule partie, en maîtriser les règles et disposer des meilleures cartes est essentiel.
A retenir
- L’expertise judiciaire peut s’avérer primordiale puisqu’elle met en lumière les aspects techniques d’un litige.
- Les parties ont la faculté d’influer sur le choix et la mission de l’expert.
- Les opérations d’expertise sont régies par le principe du contradictoire qui doit être scrupuleusement respecté à peine de nullité ou d’inopposabilité du rapport.
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