L’obligation d’assurance, l’épée de Damoclès du dirigeant

La non-souscription d’une assurance obligatoire par un dirigeant est source de mise en cause de sa responsabilité personnelle. La Cour de cassation a confirmé qu’il n’y avait pas d’exception.

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L’obligation d’assurance, l’épée de Damoclès du dirigeant

Chaque assurance obligatoire non souscrite en France entraînerait-elle une responsabilité automatique du dirigeant social de l’entreprise défaillante ? C’est la solution à laquelle invite l’arrêt du 27 mai 2015 de la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 13-23.772) qui a confirmé qu’un défaut de souscription d’une assurance obligatoire par une entreprise caractérisait bien une faute détachable des fonctions du représentant légal ou statutaire, et, partant, qualifiait la responsabilité du dirigeant de l’entreprise concernée.

Même si la décision n’est pas publiée au Bulletin de la Cour de cassation, elle affirme cette règle sous un atten­du de principe des plus clair : « Atten­du que le gérant d’une société à responsabilité limitée qui commet une faute constitutive d’une infraction péna­le intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice. »

Dans cette affaire, une société d’activités sportives, spécialisée en matière d’enseignement du parapente, avait vu sa responsabilité engagée à l’occasion d’un stage ou un pratiquant s’était lourdement blessé. La société ayant été assignée en responsabilité, il s’était engagé un débat sur sa couver­ture d’assurance, pourtant obligatoire, dont l’existence n’avait, in fine, pas pu être démontrée par l’entre­prise de loisirs.

La victime avait alors assigné en cours de procédure le gérant de l’entreprise, notamment pour manquement aux dispositions de l’article L. 321-1 du code du sport posant précisément le principe d’une assurance de responsabilité obligatoire. Cette obligation est sanctionnée par l’article L. 321-2 de ce code par une amende de 7 500 € et 6 mois d’emprisonnement. La respon­sabilité du dirigeant fut finalement retenue. Sur le plan du droit, l’enseignement de l’arrêt du 27 mai 2015 est classique et éprouvé, le défaut de souscription d’une assurance obligatoire, dans l’espèce assortie d’une sanction pénale, constituant une faute séparable des fonctions sociales, génératrice de responsabilité pour le dirigeant social (voir encadré).

L’assurance construction fertilise la faute détachable

C’est tout naturellement par le biais de l’assurance construction, terre d’élection des assurances obligatoires, que cette faute détachable des fonctions a trouvé à se développer. En effet, l’article L. 241-1 du code des assurances pose le principe d’une assurance de responsabilité décennale obligatoire, elle-même assortie au sens de l’article L. 243-3 du code des assurances d’une sanction lourde de 6 mois d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Plusieurs arrêts significatifs ont été rendus sur l’hypothèse d’une absence d’assurance obligatoire en matière de construction (1). On citera celui du 28 septem­bre 2010 (n° 09-66.255) qui décide que l’ouverture d’un chantier sans assurance de responsabilité décennale des constructeurs établie était de nature à entraîner la responsabilité personnelle du dirigeant. Cette tendan­ce sera confirmée, toujours en matière de construction, par deux arrêts de la Troisième chambre civile du 11 janvier 2012 (n° 10-20.633), mais encore de la chambre Commerciale du 9 décembre 2014 (n° 13-26.298). Cette dernière affirmant le principe, repris par l’arrêt du 27 mai 2015, selon lequel « le gérant d’une société à respon­sabilité limitée qui commet une faute constitutive d’une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice ».

130 assurances obligatoires

Le principal intérêt de la décision du 27 mai 2015 est ailleurs, car la question qui se posait depuis les « arrêts assurance construction » était de savoir si ce risque, pesant sur la tête du dirigeant, était délimité à la seule matière construction, ou si, ce qui était logique, on pouvait raisonner par analogie et appliquer cette règle à l’ensemble des assurances obligatoires.

C’est précisément à cette question que répond, et sous une forme positive, l’arrêt du 27 mai 2015. En conséquence, le risque pesant sur le dirigeant social en matière de défaut d’assurance obligatoire souscrite par son entreprise ne se limite pas au seul périmètre du droit de la construction, mais s’étend bien à toutes les assurances obligatoires.

Or, et c’est bien là le problème, la France est en Europe le leader du nombre d’assurances obligatoires. Leur nombre est si élevé que, depuis plusieurs années, il n’existe aucun récapitulatif officiel de l’ensemble de ces assurances obligatoires dans le code des assurances, ni même sur le site du ministère de l’économie et des Finances. La dernière tentative de recensement de l’ensemble de ces assurances obligatoires avait été l’objet d’un travail spontané du minis­tère de l’Économie et des Finan­ces datant de 2008.

La liste en comptabilisait une centaine qui couvraient les domaines les plus larges : transport, santé, habitat et construction, sports, loisirs et culture, enseignement, formation, mais enco­re des activités industrielles, agricoles, économiques et financières. Cet inventaire à la Prévert a depuis 2008, été l’objet de l’ingénierie législative qui a continué à fonctionner à plein. La doctrine évoque à ce jour plus de 130 assurances obligatoires applicables en France.

Soit 130 occasions, en cas de défaut de souscription de l’assurance obligatoire, pour le dirigeant qui aurait, volontairement ou pas, omis de souscrire ladite assurance obligatoire, de voir rechercher sa responsabilité avec de bonnes chances de succès.

La sanction pénale un critère partiel

À cet égard, il ne semble d’ailleurs même pas évident que la faute du dirigeant soit détachable uniquement en cas de sanction pénale associée à un texte posant le principe de l’assurance obligatoire. En effet, dans l’arrêt du 11 janvier 2012 (n° 10-20.633), ce n’est pas le principe du risque pénal associé qui déterminait à lui seul la qualification de faute détachable du dirigeant mais le fait que le dirigeant avait « organisé la transmission occulte du marché par lequel la société […] avait perçu des acomptes, et qu’il avait procédé à la dissolution anticipée de cette société sans en informer » sa cliente, afin de permettre à la société de construction d’échapper à ses obligations contractuelles. En d’autres termes, si l’existence d’une sanction pénale associée à une obligation d’assurance qualifie systématiquement, en cas de défaut de souscription de l’assurance, une faute détachable pour le dirigeant social, rien ne dit qu’il n’en sera pas de même dans une hypothèse où il n’y aurait pas nécessairement de dispo­sitions pénales associées, mais néanmoins une faute séparable, en fonction des manquements constatés de ce même dirigeant à ses obligations sociales. Le tout est que, conformément à ce qu’avait indiqué l’arrêt principal de la chambre Commer­ciale du 20 mai 2003, ce manquement du dirigeant soit d’une particulière gravi­té « incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».

Il existe donc aujourd’hui en termes de risques liés à l’activité de dirigeant social, un risque général qualifié, celui pour le représentant de l’entreprise d’être le garant alternatif du défaut de souscription d’assurance obligatoire, sa responsabilité étant engagée sur ses deniers personnels. Soit plus de 130 hypothèses où, pour protéger le dirigeant, il va falloir vérifier activité par activité, mais également chantier par chantier, que l’assu­rance a bien été souscrite et est pleinement valable. L’assurance D&O (Directors & officers liability) a donc de beaux jours devant elle au regard d’un risque ignoré, et pourtant majeur, lié à l’exercice de l’activité sociale du dirigeant. Et enco­re, cette protection de ce type de faute détachable par l’assurance n’est-elle que relativement récente, puisqu’aux origines du marché de la D&O en France, ce type de faute faisait l’objet d’une exclu­sion, clause que la libéralisation du marché de l’assurance tend à faire disparaitre. Des dangers cachés du parapente…

à retenir

  • La faute détachable du dirigeant est source de sa responsabilité personnelle indépendamment de la personne morale de l’entreprise.
  • La non-souscription d’une assurance obligatoire peut donner lieu à cette responsabilité personnelle.
  • Environ 130 assurances obligatoires existent.

La faute séparable

La faute détachable ou séparable des fonctions, condition préalable à l’engagement par les tiers de la responsabilité civile du dirigeant, a notamment été posée par un arrêt fondateur de la chambre Commerciale de la Cour de cassation du 20 mai 2003 (n° 99-17092) qui énonce que la « faute séparable des fonctions » est celle qu’un dirigeant commet intentionnellement, et qui « s’avère d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».

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