La sanction de la violation de la clause d'arbitrage à cours connu
PAR LUC GRYNBAUM, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS-V-DESCARTES, DOYEN HONORAIRE DE LA FACULTÉ DE DROIT DE LA ROCHELLE
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PAR LUC GRYNBAUM, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS-V-DESCARTES, DOYEN HONORAIRE DE LA FACULTÉ DE DROIT DE LA ROCHELLE
L'assurance vie représente un placement extrêmement prisé. Les assureurs multiplient les contrats et les clauses afin d'attirer les investisseurs. L'un des objectifs est de bénéficier de la fiscalité avantageuse applicable à ces contrats quand ils sont conservés plus de huit ans, tout en conservant la possibilité de gérer son portefeuille. Parmi les nombreuses combinaisons possibles proposées à la fin des années quatre-vingt-dix, des assurances en unités de compte multisupports contenaient une série de clauses permettant au souscripteur de procéder à cette gestion de portefeuille au travers de leur contrat. Une clause dite « d'arbitrage à cours connu » permettait ainsi de faire évoluer la liste et le nombre des supports et une clause dite « des 5 % » permettant à l'assureur de différer les ordres de l'assuré afin de préserver les intérêts de ce dernier.
Pour éviter l'effet, supprimons la cause
Ce sont ces deux clauses qui ont suscité le plus de contentieux entre les assureurs et les souscripteurs. En effet, la clause d'arbitrage à cours connu permet à l'assuré de demander à son assureur de changer de support au regard des cours antérieurs et non du cours postérieur à la demande d'arbitrage. C'est ainsi qu'en cas de baisse constante des actions, si le support choisi en comporte une grande proportion et si l'assuré demande d'en convertir une partie en obligations, cette demande ne sera honorée qu'en appliquant le cours connu au jour de l'arbitrage. L'assureur va donc supporter la perte si, le jour où il réalise l'ordre, les actions ont encore perdu de la valeur.
Face à la baisse des marchés d'actions, les assureurs ont utilisé la clause leur permettant de faire évoluer les supports proposés et ont ainsi supprimé la plupart des supports en actions. Ils ont été régulièrement condamnés, notamment par la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 24 février 2005, Rev. gale droit des assur. 2005, p. 470, note J. Bigot ; 12 avril 2005, pourvoi n° 02-19690 ; 22 février 2007, 2 arrêts, Rev. gale droit des assur. 2007, p. 393, note J. Bigot), et encore dans un arrêt du 8 novembre 2007, dans lequel est particulièrement stigmatisée la mauvaise foi de l'assureur (Cass. civ. 2e, 8 novembre 2007, pourvoi n° 06-1976 ; Semaine jurid. Éd. G. 2008, II, obs. L. Grynbaum, 10034).
Une mauvaise foi qui dénature le contrat
Sur renvoi de ce dernier arrêt, la cour d'appel de Paris (CA Paris, pôle 2, ch. 5, 30 mars 2010, n° 08/01987) vient de rendre une décision très intéressante, qui sanctionne l'assureur en le condamnant à exécuter ses obligations en nature (1). La Cour de cassation (Cass. civ. 2e, 8 novembre 2007, préc.) avait censuré la cour d'appel en demandant à la cour de renvoi de vérifier « si, en supprimant les supports actions en 1998, l'assureur n'avait pas, de façon déloyale, poursuivant la préservation de ses seuls intérêts, privé l'assuré de la possibilité de placer des fonds sur les supports en actions les plus performants, ce qui avait fait perdre tout intérêt à la clause d'arbitrage à cours connu et au contrat lui-même, qui était privé de la spécificité qui poussait à le souscrire, méconnaissant ainsi son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi ».
La cour de renvoi (CA Paris, 30 mars 2010, préc.) a relevé que sur 13 supports existant au moment de la souscription du contrat, il n'en restait plus que 6 ou 7 trois ans plus tard (les supports en actions ayant été rendus « inéligibles ») dans un contrat qui avait été souscrit en gestion dynamique. La cour en déduit que « l'assureur, en supprimant sans les remplacer des supports permettant aux souscripteurs de pouvoir user de la faculté contractuelle d'arbitrage entre des supports en nombre suffisant et de nature diversifiée, a fait une application abusive, au sens de l'article 1134 du code civil, de la clause prévoyant que la liste et le nombre des supports étaient susceptibles d'évoluer et a dénaturé le contrat ».
Pour trouver une sanction adéquate à la mauvaise foi de l'assureur qui a détourné la clause lui permettant de modifier les supports de son but, la cour d'appel de Paris a ordonné une sanction en nature qui doit retenir toute l'attention.
Le rétablissement plutôt que l'indemnisation
Les conseillers parisiens ont, tout d'abord, ordonné de rétablir les supports en actions qui existaient lors de la souscription du contrat, ou de les remplacer par des équivalents en composition et en nombre en cas de disparition, afin que la clause d'arbitrage à cours connu puisse être utilement mise en oeuvre. En outre, l'assureur est condamné à exécuter toute instruction de versement et d'arbitrage portant sur des supports en actions sous astreinte de 2 000 E par infraction constatée. Enfin, un expert est nommé pour déterminer si les supports en actions prévus lors de la souscription du contrat existent encore et, dans la négative, préciser par quels supports équivalents ils pourraient être remplacés. L'expert doit également évaluer le préjudice de l'assuré de sa perte de chance de réaliser des plus-values grâce aux arbitrages qu'il aurait réalisés.
Cette solution présente, certes, un intérêt théorique pour ce qui est du droit des contrats. Elle confirme la faveur marquée en jurisprudence pour la sanction de la violation des contrats par l'exécution en nature, et non par le simple octroi de dommages-intérêts. Cette faveur avait été entérinée en doctrine dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations (Rapport au garde des Sceaux, 22 septembre 2005, sous dir. P. Catala), qui plaçait en tête des remèdes à l'inexécution du contrat un droit pour le créancier d'obtenir une exécution en nature.
D'un point de vue plus pratique, l'arrêt de la cour d'appel de Paris doit attirer l'attention des assureurs vie sur la conséquence de la violation de clauses qu'ils ont stipulées afin de rassurer leurs souscripteurs et qu'ils privent ensuite d'efficacité. Dans les contentieux actuels sur le jeu des clauses d'arbitrage à cours connu, ils risquent de se voir condamner à des montants importants si l'expert parvient à reconstituer les conséquences dans le temps du jeu de ces clauses. Il s'agit des dommages-intérêts à payer pour la période écoulée entre la suppression des supports et la décision de justice. Pour l'avenir, si l'on applique la solution donnée par cet arrêt, les assureurs peuvent également se voir contraints de réintégrer dans leur contrat des supports en actions qu'ils avaient unilatéralement exclus, ce qui peut se révéler extrêmement complexe, techniquement, à gérer.
L'avantage fiscal l'emporte sur la sécurité juridique
Si quelques assureurs proposent encore aujourd'hui des contrats comportant ces clauses d'arbitrage à cours connu, il serait grand temps de trouver d'autres arguments, juridiquement plus maîtrisables, pour attirer les souscripteurs. Dans les contrats en cours, il serait souhaitable de ne plus modifier brutalement les supports, afin de ne pas s'exposer à de nouvelles condamnations, mais d'amener progressivement les souscripteurs à réinvestir dans d'autres contrats. Toutefois, la difficulté en assurance vie actuellement réside précisément dans la priorité donnée à l'investissement, qui suppose des montages financiers et fiscaux sophistiqués ; les contrats sont quant à eux fragiles juridiquement.
À RETENIR
* Dans les contrats d'assurance vie en unités de compte multisupports, des clauses ont été introduites permettant de réaliser une gestion de portefeuille au travers du contrat.
* La clause d'arbitrage à cours connu est la stipulation permettant à l'assuré de liquider un support sur la base des derniers cours boursiers connus et non en fonction de ceux du jour de la réalisation de l'ordre.
* L'assureur qui paralyse le jeu de la clause d'arbitrage en supprimant les supports spéculatifs s'expose à devoir les réintroduire sous astreinte et à indemniser l'assuré pour la perte de chances d'avoir pu réaliser des plus-values.
1. Nous remercions Me A. de Barthès de Montfort, avocat chez De Gaulle, Fleurance et associés, de nous avoir communiqué cet arrêt.
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