PLFSS 2016 : le thriller des délégations de gestion
La remise en question des délégations de gestion, dans le PLFSS 2016, consenties aux mutuelles de fonctionnaires jusqu’à présent, devrait se faire au profit d’un partenariat public-privé qui préserverait les meilleures pratiques.

L’histoire commence en 1947 lorsqu’un dénommé André Morice, député radical de la Loire-Inférieure et franc-maçon, donne son nom à ce qui allait devenir la loi n° 47-649 du 9 avril 1947 portant ratification du décret n° 462971 du 31 décembre 1946 relatif à l’institution du régime obligatoire de sécurité sociale des fonctionnaires.
à retenir
- Le PLFSS 2016 prévoit de mettre fin aux délégations de gestion et habilitations des mutuelles de fonctionnaires à gérer le régime obligatoire de sécurité sociale.
- Un modèle vertueux pourrait reposer sur la création d’un partenariat public-privé garant de certaines pratiques professionnelles qui ont fait leurs preuves.
Nous sommes alors dans un contexte où, avec la toute récente création de la sécurité sociale, la Mutualité est en proie au doute, comme le rappelle d’ailleurs le thème de son XIXe congrès national (Aix-les-Bains, 1948) : « La mutualité a-t-elle encore un avenir ? ».
Mais la loi, désormais appelée loi Morice, arrive à point nommé et permet aux fonctionnaires de recevoir les prestations en nature des assurances maladie, maternité invalidité, par l’intermédiaire de sociétés mutualistes constituées entre fonctionnaires. Celles-ci recevant des caisses de sécurité sociale, les fonds nécessaires au service des prestations et devant justifier auxdites caisses de l’emploi des fonds reçus.
Les principales mutuelles de la fonction publique se créent, se regroupent au niveau national et se développent autour du régime obligatoire qui constitue pendant de nombreuses années, décennies, leur activité principale autour de laquelle se développe la complémentaire santé, l’action sociale et enfin la prévention. Elles gèrent ainsi aujourd’hui près de 10 % de la population du régime général, soit plus de 5 millions de bénéficiaires actifs pour 6 milliards de prestations par an.
Haro sur les remises de gestion
Mais la fin des années 1980 voit apparaître un phénomène nouveau avec les déficits qui deviendront hélas récurrents du régime général de l’assurance maladie. éclate en parallèle en 1982 le scandale de la MNEF avec sa cohorte de difficultés financières.
Il faudra attendre cependant encore plusieurs années avant que le Cour des comptes ne s’intéresse à une source de dépense massive et récurrente de l’assurance maladie : les remises de gestion accordées aux mutuelles de la fonction publique.
Si les premières tentatives d’initiatives parlementaires qui suivront (amendement Bur au PLFSS 2009, puis Warsmann) tendront principalement à limiter l’intervention des mutuelles de fonctionnaires aux seuls agents titulaires, les tentatives suivantes, dont celles du projet de PLFSS 2016 (article 38 applicable au 1er janvier 2020), visent à remettre en cause le principe même des habilitations ou délégations consenties aux mutuelles de fonctionnaires. Car en fait il existe deux régimes : celui de la délégation de gestion du régime obligatoire pour les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière prévue à l’article L. 211-4 du code de la sécurité sociale ; celui de l’habilitation pour les agents de la fonction publique d’État prévue à l’article L. 712-6 du même code.
Et de fait, ces considérations d’apparence seulement juridique ont eu d’importantes conséquences organisationnelles sur les mutuelles qui ont développé selon leur nature - État, territoriale ou hospitalière –, des stratégies, en matière de systèmes d’information notamment, fort différentes.
L’assise a priori plus sûre pour les mutuelles de la fonction publique d’État les a incitées, parmi d’autres considérations, à investir dans d’importants et lourds systèmes d’information développés en propre. En revanche, l’assise juridique des délégations consenties aux mutuelles de la fonction publique hospitalière ou territoriale, moins certaine et non obligatoire, a conduit les mutuelles de ces secteurs à plus de prudence, donc à des investissements différents en matière de gestion du régime obligatoire. Voire aujourd’hui à un retour au sein de la CNAMTS de cette tâche, quitte à garder l’activité front office permettant à l’assuré social fonctionnaire de garder un guichet unique.
Les habillages dogmatiques ont suivi : l’atteinte à la gestion du régime obligatoire des fonctionnaires étant vécue comme une atteinte aux fonctionnaires eux-mêmes. Et la menace de la « casse sociale » est régulièrement brandie, car effectivement une partie du personnel des mutuelles de la fonction publique d’État principalement est affectée à la gestion du régime obligatoire, et les mutuelles se sont construites autour de cette gestion du fait de l’historique précité.
A contrario, la suppression de ce poste de dépense, bien « isolé » dans le budget de l’assurance maladie (et non fondu dans la masse des dépenses dudit régime malgré le fait qu’il en fasse partie à part entière), est considérée comme un exercice vertueux pour d’autres, sans considération des impacts économiques, organisationnels, techniques et humains, que pourrait avoir un tel transfert d’activité, impacts réels et d’importance pourtant. Bien évidemment la réalité est plus complexe.
Tentative d’unification de la gestion
Ainsi, si l’on peut considérer comme légitime dans un contexte économique contraint de transférer à l’assurance maladie la gestion du régime obligatoire des fonctionnaires, il est cependant à noter que nul ne s’est ému du développement des activités de l’assurance maladie sur le terrain de la complémentaire santé via la CMUC ou sur la fonction publique elle-même via la reprise en gestion du régime obligatoire de certains fonctionnaires. Nul ne s’interroge non plus sur l’intérêt d’avoir des systèmes d’informations complémentaires pour gérer le régime général d’assurance maladie : pour les fonctionnaires, celui de la CNAMTS et principalement à ses côtés, celui de feu Chorégie, aujourd’hui devenu Mgen Technologie.
Il serait d’apparence certes plus simple pour les pouvoirs publics d’afficher une ligne significative en moins du budget de l’assurance maladie, celle de la gestion du régime obligatoire des fonctionnaires.
Encore faudrait-il que l’assurance maladie puisse absorber cet afflux de gestion. Encore faudrait-il constater que le système de gestion de l’assurance maladie est en tous points plus performant que celui des autres gestionnaires. Encore faudrait-il enfin, en face de la ligne budgétaire ainsi rayée, chiffrer le coût direct économique, mais aussi politique, d’un tel transfert d’activité.
Une piste intéressante avait été envisagée par Alain Arnaud, ancien président de la MFP, celle d’avoir une union gestionnaire unique pour l’ensemble des fonctions publiques, partenaire de la CNAMTS.
Mais cette piste a échoué en 2013 du fait de l’incapacité des mutuelles de fonctionnaires à converger vers une solution globale, ensemble.
L’un des arguments en faveur du maintien de la gestion du régime obligatoire à des structures ad hoc est l’aspect professionnel : ainsi les actions de prévention développées par les mutuelles nationales de la fonction publique peuvent être ciblées sur la population considérée : que l’on soit magistrat, enseignant ou militaire (système encore différent que pour des autres acteurs de la fonction publique) on peut imaginer des besoins différenciés et donc mettre en place des actions de prévention adaptées.
Mais à l’heure de la banalisation et du nivellement de la protection sociale (ANI notamment) les pouvoirs publics souhaitent-ils maintenir des logiques professionnelles ? Rien n’est moins sûr.
Best practices
Plutôt que de faire table rase d’un système via un projet de loi de financement de la sécurité sociale, une solution pourrait consister dans la mise en place d’un partenariat du type PPP (1) entre la CNAMTS et les gestionnaires restant du régime obligatoire des fonctionnaires.
Mais pour cela, il faudrait que chacun entérine la fin du système dual qui les a portés pendant tant de décennies, et qui peut peut-être encore servir quelques intérêts particuliers légitimes (ou pas), et accepte de converger vers une unité de gestion unique en conservant les best-practices des uns et des autres.
Le plus difficile à mettre en œuvre étant la gouvernance de cet hypothétique PPP, la gouvernance étant le sujet constant d’achoppement des mutuelles de la fonction publique, souvent réglé par le passé par la multiplication des structures mutualistes. Ce qui n’est évidemment plus envisageable dans le contexte économique d’aujourd’hui.
(1) PPP : partenariat public-privé.
Christine Hélary-Olivier Experte en protection sociale.
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